Cartographie du lectorat du magazine Claire – 1958 à 1961
Carte synthèse 1958-1960
Pour cette seconde édition de travail collectif et collaboratif au site de Jeunesse de papier, notre équipe a proposé de « cartographier » le lectorat du magazine Claire afin de se faire une idée du taux de pénétration de ces littératures dans chaque région du Québec.
Par Noël Auguste, Fabien Bourdeau, Yvan Jauregui et Noé Leduc, 2022.
Méthodologie
L’idéal, pour obtenir le tableau démographique parfait, aurait naturellement été de relever les noms et adresses des lecteurs.trices en dépouillant les formulaires d’abonnement. Le temps nous manquant et ce genre d’archives étant vraisemblablement titanesques à dépouiller, si tant est qu’elles soient existantes et accessibles, nous avons opté pour la technique de l’échantillonnage. Dès lors, pour constituer notre échantillon, notre dévolu s’est jeté sur les listes de gagnant.e.s des concours parus dans Claire.
Dans un premier temps, nous avons relevé systématiquement dans les magazines Claire de 1958, 1959, 1960 et 1961 (séries numérisées et disponibles sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec) les noms et adresses des gagnants/gagnantes de concours et compilé les informations dans un tableau Excel. Les informations que nous avons retenues et compilées dans la mesure du possible sont : numéro de revue, jour de parution, année de parution, page, rubrique (titre du concours), mois du concours, nom et prénom du lecteur ou de la lectrice, genre, localisation du lecteur ou de la lectrice, école, ville, région administrative, modalité du concours, prix, origine du prix.
Dans un second temps, nous avons reporté ces « localisations » sur une carte enrichie. Pour sa simplicité, son utilisation intuitive, sa prise en main rapide et son interface francophone, nous avons choisi le site https://umap.openstreetmap.fr/fr/. Les cartes générées en ligne par cet outil donnent, à notre niveau de compétence et pour la finalité de notre travail, un résultat satisfaisant.
Les épingles ont été placées avec la précision maximale de la paroisse, du quartier, de la ville ou du village, mais jamais de l’adresse précise. Aucune identité n’a été dévoilée directement sur les cartes.
Nous avons choisi de conserver le nom des régions administratives et les tracés territoriaux auxquels recourt l’État québécois aujourd’hui. Si nous avions reproduit les toponymies en usage lors des années 1958, 1959, 1960 et 1961, nos résultats se seraient laissé appréhender moins efficacement par un public contemporain.
Cinq cartes ont été créées : quatre cartes annuelles, une pour chaque année, lourdement chargées en épingles de localisation et une carte synthèse, simplifiée, qui donne à voir des valeurs chiffrées pour chaque région administrative. Une couleur a été attribuée à chaque année soit : jaune pour 1958, vert pour 1959, rouge pour 1960 et bleu pour 1961. Ce détail est utile pour lire la carte synthèse.
Un tableau Excel de synthèse, une série de graphiques ainsi que ce texte explicatif et analytique complètent les cartes.
Analyse
S’ils ne sont pas particulièrement surprenants, les résultats de cette enquête sur le lectorat de la revue présentent néanmoins quelques faits saillants.
Notons d’abord, à titre de constat avantageux pour ce travail, que nous avons une proportion presque égale de gagnants et de gagnantes et que l’organisation d’une part appréciable des concours reposait sur le travail commun des bureaux d’édition de Claire et François. C’est ce que confirme une rubrique « Règlements du concours » du numéro du 15 janvier 1958, en page 11 . Nous ne pouvons pas, cependant, exclure la possibilité selon laquelle certains concours étaient exclusifs à l’un des deux périodiques. Notre échantillonnage peut donc donner une idée du lectorat féminin comme masculin des deux magazines.
Nous constatons ensuite que la quasi-entièreté du territoire québécois est desservie par la distribution de cette revue, puisque les gagnants.e.s de concours proviennent de toutes les régions pour chacune des quatre années. Remarquons toutefois les exceptions que constituent le Nord-du-Québec et la Côte-Nord ; la faible densité démographique peut expliquer le faible taux de participation. La lecture de Claire n’est donc pas un phénomène limité à quelques grands centres urbains.
Nous observons également une surreprésentation considérable de la Montérégie par rapport aux autres régions (18 % des gagnant.e.s), et notamment Montréal (14,5 %). Une première hypothèse serait qu’il existe un lien causal entre la proportion d’anglophones dans la région de Montréal et le taux de diffusion de Claire, diminuant d’autant le lectorat francophone urbain. Une seconde piste explicative est que les municipalités rurales de taille moyenne des décennies 1950-1960 possédaient naguère un dynamisme socioéconomique paroissial qui leur était propre. Ces villes et villages sont devenus les contemporaines banlieues satellites de Montréal, Québec et Trois-Rivières. Cette dernière hypothèse est soutenue notamment par un document de recherche commandé par l’État sur la démographie et les activités économiques du Québec lors de la création des régions administratives au tournant des années 1960, qui indique que de nombreuses villes populeuses et dynamiques du Québec, estimées comme étant « de second rang » sont situées en Montérégie : Saint-Hyacinthe, Saint-Jean-sur-Richelieu, Valleyfield, Sorel-Tracy … Ainsi, de la même façon, le taux de gagnant.e.s provenant de l’Estrie (7%) et celui de la Capitale-Nationale (8%), qui inclut Québec, sont très comparables.
Autre élément surprenant dans une même logique de comparaison, le nombre de gagnant.e.s à Laval est très réduit (à peine 1 % en moyenne entre 1958 et 1961). Ce phénomène, comparé aux taux plus importants des régions alentour (5 % pour les Laurentides, 14,5 % pour Montréal), suggère que le district de Laval était encore une zone exclusivement rurale et peu densément peuplée.
Si la diffusion des magazines se répand jusque dans des espaces plus éloignés du Québec, cet éloignement se traduit toutefois par une nette diminution du nombre de gagnant.e.s, et donc, on peut le supposer, du nombre de lecteurs.trices. Le nombre de gagnant.e.s et la densité de population suivent simultanément une tendance décroissante, la densité de population étant dictée par le rythme de la colonisation du territoire des années 1950 et 1960. Toutefois, cette explication n’est pas entièrement satisfaisante. En effet, l’Abitibi-Témiscamingue est une zone éloignée, mais dotée d’une activité économique minière, agricole et forestière intense ; or son taux de gagnant.e.s n’est que de 3,5 % par rapport à l’ensemble du territoire, loin derrière la Mauricie (6 %), Chaudière-Appalaches (5,5 %) ou les Laurentides (5,5 %), et plus proche de territoires tout aussi reculés, mais moins dynamiques comme la Gaspésie-Île-de-la-Madeleine (2 %). Une seconde explication, à l’heure actuelle impossible à confirmer, serait alors que la distance géographique rend plus difficile la diffusion de pratiques culturelles comme la lecture de revues jeunesse au sein des réseaux de sociabilité et de pratiques dans ces espaces loin des centres principaux d’activité culturelle. Faut-il également y voir un lien avec l’activité des diocèses, moins dynamique sur le plan culturel et notamment dans les propositions d’encadrement de la jeunesse? La question demeure à explorer.
Fait intéressant, plusieurs des gagnant.e.s de concours sont indiqués comme habitant dans d’autres provinces du Canada (Manitoba, Nouveau-Brunswick, Alberta et Ontario). Ils en représentent même une part non négligeable (7 %). Cet indice témoigne du dynamisme de communautés francophones hors Québec, reliées par des réseaux culturels et religieux, au Canada français.
Commentaire et retour critique
D’abord, la cartographie est limitée dans sa précision, car les adresses complètes sont rarement indiquées. Ensuite, au cours du dépouillement des parutions de quatre volumes de Claire et du classement de nos données, nous avons rencontré deux difficultés principales.
Premièrement, nous avons constaté des lacunes documentaires : pour la période qui nous intéresse, deux parutions de Claire sont absentes du corpus disponible sur la plateforme web de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).
Deuxièmement, nous avons échoué à situer géographiquement 16 gagnant.e.s de concours dont le nom figure dans l’un des numéros de Claire sélectionnés. Finalement, pour deux concours – Pinky (« Gagnants du concours Pinky ». Claire, vol. V, n° 9 [15 mai 1961], p. 4 et 20) et Ice follies (Claire, vol. III, n° 5 [15 mars 1959], p. 20) -, l’écrasante majorité des gagnant.e.s provenait non seulement de la même région, mais encore de la même ville. Nous avons tenu ces gagnant.e.s pour des données aberrantes. Les noms de ces participant.e.s à des concours apparemment locaux n’apparaissent pas sur les cartes que nous souhaitons représentatives de l’ensemble du lectorat canadien-français. Lesdites données figurent tout de même dans le document Excel.
Conclusion
Notre travail, du fait de sa nature, ne constitue qu’une amorce et n’autorise pas encore de conclusions importantes. Néanmoins, étant donné la quantité de données que nous avons recueillies et l’ampleur de l’effort de dépouillement que nous avons fourni, il constitue une assise déterminante pour les étudiant.e.s des cohortes ultérieures. Dans le cas échéant, la discrimination des résultats ne constitue pas un échec pour autant. Deux types de concours distincts se laissent déceler dans nos documents Excel : le premier suscitait une participation à l’échelle du Canada français, tandis que le second concernait une communauté urbaine précise. Quand bien même ils ne le présentaient pas explicitement comme tel, les organisateurs des concours, peut-on supposer, opéraient parfois une sélection au sein même du lectorat en fonction de l’appartenance démographique et socioéconomique de celui-ci.
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