Astérix est là !
Influence des albums Astérix au Québec

Par Antoine Martin, 2022

Nous sommes dans la décennie 1950. Tout le Canada se modernise et profite des gains amenés par les « Trente Glorieuses » d’après-guerre. Tout? Non! Au nord de l’Ontario et des États-Unis, la province de Québec est encore sous la coupe du clergé et sa vision rurale qui s’étend dans la province.

Si cette introduction vous semble familière, c’est que vous avez sûrement été exposé, de près ou de loin, aux aventures d’Astérix le Gaulois, une série de bandes dessinées, de films (et plus encore!) très populaire en France, en Europe et au Québec. Cependant, cette tournure de phrase est ironique : la population du Québec possède une proportion considérable « d’analphabètes fonctionnels » et est souvent présentée comme dominée – par le clergé ou les capitaux américains (Demers, 2018, p. 15). Cette relation entre l’analphabétisme et la domination s’effectue surtout au niveau professionnel, puisque les seuls efforts pour alphabétiser les adultes québécois proviennent essentiellement du secteur privé et n’ont en vue que l’adaptation et le placement afin de doter les entreprises de travailleurs (Hautecoeur, 1980, p. 112). De plus, l’analphabétisme est un problème qui touche la population de façon inégale, affectant surtout les couches rurales et populaires (Hautecoeur, 1980, p. 118). Lors des années 1960, au cours de la Révolution tranquille, des efforts sont déployés pour enrayer ce problème (Ferland, 1998, p. 186). L’arrivée d’Astérix s’inscrit dans ce contexte – même si les bandes dessinées sont d’abord pensées comme convenant à un public jeune et citadin (Demers, 2018, p. 15).

Suivons, le temps de quelques vignettes, les exploits d’Astérix au Québec.

Origines de l’arrivée d’Astérix au Québec

Dès sa création, Astérix connaît un succès phénoménal, tant qu’à ce jour des centaines de millions d’exemplaires ont été vendus à travers le monde. Cependant, ce succès ne touche que peu les États-Unis, même dans sa traduction anglaise. Les raisons évoquées pour expliquer ce fait vont du chauvinisme jusqu’au simple fait qu’il s’agit d’un produit « non américain » (Gabilliet, 2011, paragraphe 18). Pour qu’un engouement puisse naitre au Québec, les bandes dessinés doivent transiter directement par la France.

Le passage d’Astérix au Québec se fait d’une manière similaire à celui de la série de bandes dessinées du Belge Hergé, Tintin. En effet, en 1965, le directeur de la revue La Patrie, Yves Michaud, qui distribuait déjà les aventures de Tintin depuis deux ans, contacte Dargaud afin de discuter de la distribution de bandes dessinées d’Astérix (Demers, 2018, p. 16). Une fois l’entente entre Dargaud et Michaud entérinée, le petit Gaulois peut faire son entrée dans le monde québécois par le biais de la section jeunesse de la revue La Patrie avec l’album Le Tour de Gaule d’Astérix (Demers, 2018, p. 18).

Le succès commercial d’Astérix est alors assuré dans la Belle Province. Sa popularité, bien qu’avérée, n’est toutefois qu’à son stade embryonnaire, contrairement à son homologue belge, Tintin. Par exemple, lors d’Expo 67, exposition internationale qui se déroule à Montréal, le jeune reporter avait son propre kiosque, contrairement au Gaulois, même si ses auteurs y étaient (Demers, 2018, p. 116).

Cela dit, comment expliquer le succès rapide qu’Astérix connaît au Québec? Il semble qu’il doit beaucoup aux journalistes ainsi qu’aux critiques littéraires, qui voient en lui un symbole de résistance et de lutte identitaire à une époque où le Québec vibre au son de ces mouvements, comme bien d’autres sociétés au même moment (Demers, 2018, p. 136). René Lévesque lui-même utilise la métaphore du village gaulois pour parler du Québec « encerclé par les armées impérialistes anglophones » (Cros, 2011, paragraphe 19)! En ce qui concerne René Goscinny et Albert Uderzo, leur position est celle de l’ambivalence : pas de confirmation, pas d’infirmation, en espérant se montrer apolitique. C’est cette position qu’ils utilisent pour plusieurs aspirations nationales d’ailleurs, malgré l’insistance des journalistes français, qui continuent à leur prêter des idéologies et d’autres types d’agendas cachés (Dandridge, 2008, p. 69).

Astérix à la télévision

Avec le succès des bandes dessinées des aventures d’Astérix en France et en Europe, il fallait désormais penser à de nouveaux médias, de nouvelles façons de diffuser cette série à succès. C’est du moins l’avis de Dargaud, nouveau propriétaire de la revue Pilote où figurent les planches d’Astérix en France, qui décide de contacter Raymond Leblanc, propriétaire du studio d’animation belge Belvision, afin de créer une série télévisée portant sur les aventures d’Astérix… le tout sans en avertir Goscinny et Uderzo, les créateurs de la série! C’est ainsi qu’en 1967 sort le premier film animé Astérix le Gaulois, qui est vite considéré comme étant une médiocre adaptation du tome du même nom. Le deuxième film, Astérix et Cléopâtre, sort en 1968. Il reçoit le même verdict, bien qu’il ait été réalisé cette fois par les auteurs (Lesage, paragraphes 22-23).

Ce n’est qu’à partir de 1976, une fois Belvision délaissé pour le studio Idéfix nouvellement crée par Dargaud et les deux auteurs, que l’on voit enfin un film animé d’Astérix apprécié par les critiques, Les douze travaux d’Astérix. En fait, le studio lui-même était considéré comme une innovation, ses propriétaires n’hésitant pas à investir dans du matériel de pointe et du personnel qualifié (Lesage, paragraphe 24).

Ceci dit, qu’en est-il de la réception au Québec? Le verdict ne diffère pas grandement de celui des critiques françaises, si ce n’est le journal La Presse qui en rajoute en affirmant que le film ne vaut même pas la peine d’être regardé. Cependant, la population semble plutôt apprécier cet opus mal aimé (Demers, 2018, p. 26-27). Quant à Astérix et Cléopâtre, projeté au Québec en 1969 aux alentours de Noël, ce fut un succès pour tous, presse et critiques compris (exception faite du journal Le Soleil) (Demers, 2018, p. 27-28).

À ce jour, on retient de ces films le fait qu’on puisse les voir (et revoir) dans le cadre du traditionnel Ciné-cadeau à Télé-Québec lors du temps des fêtes… et ce, depuis les années 1980 (Imbeault, 2020, p. 232).

Astérix à la radio

Pour celles et ceux de ma génération qui connaissent et aiment bien Astérix, il est notoire que les aventures du Gaulois ne se limitent pas aux bandes dessinées; il est en effet possible de suivre ses aventures par le biais des films, en dessins animés ou non. Toutefois, lors de mes recherches, je suis tombé sur un média bien particulier pour l’expression des aventures d’Astérix : la radio. En effet, les émissions radiophoniques des aventures du Gaulois ont été diffusées pour la première fois en France en octobre 1960 par la revue Pilote (en tandem avec les bandes dessinées), avant d’être interrompues en 1965 et de reprendre en 1966 avec Roger Carel et Jacques Morel à l’interprétation d’Astérix et d’Obélix respectivement (Lesage, paragraphe 2). Avant même le premier film animé de 1967, ils avaient déjà affirmé leur rôle comme interprètes de ce duo gaulois! Cette adaptation précoce à la radio a originellement été élaborée pour introduire les enfants au monde d’Astérix. Certains jeunes pouvaient avoir vu des produits dérivés, mais n’avoir jamais eu l’opportunité de tenir entre leurs mains une bande dessinée d’Astérix (Lesage, paragraphe 1).

Du côté du Québec, Radio-Canada s’intéresse rapidement à cette idée de diffuser les aventures d’Astérix par le biais de la radio. Ce ne serait pas la première fois : dans le passé, la société d’État avait déjà travaillé avec la licence de Tintin. Ainsi, après avoir eu vent des succès en France, Radio-Canada négocie les droits de diffusion pour 1968 (Demers, 2018, p. 66). Les émissions radio ont été rapidement un succès, au point tel que des disques 33 tours racontant les deux premiers opus d’Astérix ont été mis en vente (Demers, 2018, p. 67).

Conclusion

Le Québec a été non seulement un terreau fertile pour les bandes dessinées et films d’Astérix, mais aussi pour des programmes radiophoniques mettant en vedette ses aventures. Par ailleurs, il n’est pas difficile de croire que l’importation des aventures gauloises entreprise par Yves Michaud avait un but allant au-delà du simple divertissement, vu le contexte de la Révolution tranquille qui battait son plein.

Une question demeure : quelles étaient les motivations politiques de Goscinny et Uderzo quant à Astérix? En ce qui les concerne, les auteurs se sont évertués à marteler qu’ils ne nourrissaient aucun agenda politique caché qui soit autre que celui du divertissement. Néanmoins, force est de constater que cela n’empêche aucunement les journalistes de les accuser de faire de la politique, d’autant plus qu’Astérix a été instrumentalisé autant par les néonazis en Allemagne que par des séparatistes suisses (Dandridge, 2008, p. 80). On peut aussi ajouter le contexte gaullien de la naissance du Gaulois, avec quelques références cachées pouvant passer pour du gaullisme anti-américain (Lüthi, 2020, p. 236). Au final, les interprétations d’ordre politique allant bon train, le fan québécois d’Astérix a bien le droit de rêver, même sans être un nationaliste. C’est en partie ça aussi, le village global d’Astérix.

Publicité Dargaud-Brunelle pour les bandes dessinées d’Astérix sur une coupure de journal La Presse de 1982.

Publicité Dargaud-Brunelle pour les bandes dessinées d’Astérix sur une coupure de journal La Presse de 1982.

Coupure de journal Radio-Canada de 1968. En bas à gauche, heures de diffusion de l’émission radiophonique d’Astérix.

Coupure de journal Radio-Canada de 1968. En bas à gauche, heures de diffusion de l’émission radiophonique d’Astérix.

Présentation au journal Radio-Canada de l'entrevue de l'Émission "Le Sel de la semaine" en 1969. On y parle des succès des bandes dessinées et des films animés d’Astérix.

Présentation au journal Radio-Canada de l'entrevue de l'Émission "Le Sel de la semaine" en 1969. On y parle des succès des bandes dessinées et des films animés d’Astérix.