Corpus

Description du corpus

En 1944, les Éditions Fides lancent Hérauts, une revue jeunesse catholique créée en réponse aux comic books américains et à leur mauvaise influence perçue sur le jeune lectorat canadien-français. Trois ans plus tard, Hérauts s’allie à cinq revues jeunesse publiées par des congrégations enseignantes. De son côté, la Jeunesse étudiante catholique publie, dès 1943, la revue François pour les jeunes de 12 à 15 ans.  Ces deux initiatives éditoriales profitent du large public fourni par les écoles de la province au lendemain du babyboom. Ces revues circulaient également dans la francophonie canadienne, comme en témoignent les lieux de provenance des enfants participant aux concours au fil des ans.

Le corpus que nous avons analysé – majoritairement acquis via les petites annonces Kijiji – se compose de plus de 200 numéros des huit revues suivantes : Hérauts, L’Abeille, Stella Maris, Ave Maria, Petit Héraut, Fanchon et Jean-Lou, François et Claire. Quoique nous ayons analysé quelques exemplaires datant des années 1940, l’essentiel de notre projet se concentre sur les années 1955-1964. En plus des exemplaires papier que nous possédions, notre recherche a été enrichie de visites aux archives nationales (ANQ-Vieux Montréal) dans le fonds de la Jeunesse étudiante catholique, de la consultation des revues François à la Collection nationale de BANQ ainsi que de l’examen des copies numérisées de la revue Claire sur BANQ-numérique.

Pas de Nous sans l’Autre, pas d’ici sans l’ailleurs.

Mise en récit et représentations de la différence dans les revues jeunesse de la JEC et de Fides

Par Marc-Antoine Bouchard-Racine et Leah Szopko

Dans une optique à la fois éducative et ludique, les congrégations religieuses responsables des revues jeunesse produisent des articles sur l’histoire « nationale », sur celle des autres peuples, ainsi que des dossiers sur l’actualité mondiale. On y décèle des visions du monde bien définies, qui marquent un trait clair entre le Nous et l’Autre, entre l’Ici et l’Ailleurs, non sans visées précises. C’est ce qui nous motive ici à réfléchir à la manière dont ces histoires sont racontées et ce qu’elles véhiculent en termes de messages, d’idéologies ou de visions du monde chez le jeune lectorat des revues. Plus précisément, il nous apparaît intéressant de porter attention à la construction des différentes figures d’altérité et aux représentations du monde mises en récit dans les revues destinées à la jeunesse québécoise.

Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que la construction de l’identité (le Nous) s’opère en étroite relation avec la construction de l’altérité (l’Autre). Dans le cadre de nos recherches, nous avons constaté que le missionnariat a joué un rôle non négligeable dans la promotion et le renforcement de ce que Catherine Larochelle a appelé « l’altérité narrative », soit la « la mise en récit de la différence » (Larochelle, 2018 : 12). Si les représentations du Nous catholique canadien-français véhiculées par les revues étaient considérées comme « la norme », alors les représentations des Autres et de l’ailleurs « serv[aient] de balises définitoires tout en étant exclu[es] et placé[es] aux marges de cette norme» (Clapperton-Richard, 2019 : 44).

Noël autour du monde : place à la différence!

« Sans frontières de pays, de races, de couleurs, la joie de Noël est universelle. Sous les cocotiers d’Afrique, dans les steppes de la Russie comme en Chine et dans le glacial Yukon, Noël apporte son message d’espérances : un Dieu se fait homme pour sauver les hommes… » (Ave Maria du 15 décembre 1959 : 3)

Les célébrations de Noël semblent être un moment privilégié pour illustrer les différences entre les peuples autour du globe. Dans leur volonté de rassembler les nations, les revues emploient plutôt un vocabulaire qui marque un trait clair entre le Nous et l’Autre et entre l’Ici et l’Ailleurs. La citation ci-haut en témoigne, alors que des régions du monde sont essentialisées — une seule de leurs dimensions vient à les définir — par des éléments géographiques et climatiques, malgré la prétendue volonté d’outrepasser les « frontières de pays, de races [et] de couleurs ». La couverture de ce numéro de Noël est également fort éloquente sur le sujet; on y voit des représentations racistes de populations coloniales célébrant Noël autour du Christ nouveau-né. L’image parle d’elle-même. On comprend ici la portée internationale et universelle de la foi catholique, propulsée aux quatre coins du monde sous l’impulsion et le zèle missionnaire. L’enfant Jésus est entouré de jeunes personnages caricaturés représentant les différentes populations colonisées du monde, chez qui la présence missionnaire est considérable.

Que voit-on sur les images ? Sur la couverture, au premier plan se trouve les figures de l’« Africain », de l’«Asiatique» et de l’« Arabe », qui sont en voie d’être rejoints par l’« Esquimau » et la « femme de l’Inde », arrivant au second plan. Au fond, un enfant blanc s’approche, tenant dans ses bras une brebis : cette image n’est pas sans rappeler celle, classique dans l’iconographie chrétienne, de Jésus tenant la brebis égarée dans ses bras, qu’il sauve et amène à lui. La jeunesse des personnages représentés vient également rappeler l’aspect paternaliste de la colonisation et de l’œuvre missionnaire. En somme, ces populations coloniales sont représentées selon des figures construites en fonction d’un imaginaire à la fois produit et diffusé en grande partie par l’action missionnaire.

On constate aussi l’importance du missionnariat dans l’article sur la Chine, alors que la volonté de véhiculer les valeurs chrétiennes et d’apporter de l’aide aux plus démunis est mise de l’avant. Non seulement on se désole de leur pauvreté, mais on incite également les « petits Chinois » baptisés à propager la foi, qui ne semble pas atteindre un large pan de la population chinoise. Le phénomène d’essentialisation revient quant à lui dans l’article portant sur l’Afrique. Ce continent est montré comme un tout englobant, où ses peuples — réduits au terme « les Africains » — sont caricaturés de manière flagrante, alors qu’on avance qu’ils célèbrent tous Noël dans la jungle au rythme des tambours.

Le Nous et l’Autre au Québec : récits nationaux et représentations

De manière générale, c’est dans les récits nationaux et dans les brèves leçons d’histoire introduites dans les revues que se retrouvent les principaux Autres du Québec, soit les Autochtones. Regroupés sous le terme englobant d’« Indiens », ceux-ci sont représentés par un ensemble de stéréotypes réducteurs et essentialisants : entre autres, ils arborent la coiffe de plumes et l’arc à flèche, ils sont généralement belliqueux et existent surtout en fonction de la présence européenne. Les seules distinctions émises entre les nations autochtones se constatent entre les Hurons et les Iroquois, respectivement définis comme les alliés des Français et les ennemis « cruels », ainsi qu’entre les « Indiens » et les « Esquimaux », ces derniers étant considérés comme distincts de par leur position géographique nordique. Ils semblent aussi représenter les seuls Autochtones à exister dans le présent, alors que toutes les autres nations sont presque exclusivement confinées au passé.

Que trouve-t-on sur les images ?

Les Indiens de la Nouvelle France : Nous retrouvons ici une claire distinction entre « les Hurons » et « les Iroquois », ces derniers n’étant définis que par leurs caractéristiques guerrières. Cela explique probablement le choix de proposer une activité autour de la figure du « Huron », qui devient la représentation authentique et unique du « bon indien » que les enfants apprennent à identifier dès un bas âge.

Kimo : Dans cet exercice à colorier, on retrouve le personnage de « Kimo », jeune enfant habillé chaudement pour jouer dehors, ressemblant ainsi « comme deux gouttes d’eau à un petit esquimau ». Le nom du personnage de « Kimo » se comprend comme étant le suffixe d’« esquimau », créant ainsi un parallèle entre ce jeune bien habillé pour jouer dehors et un enfant inuk. Ce dernier est représenté selon des clichés — il porte un gros manteau d’hiver avec un col en fourrure et pêche sur la glace — et une apparence physique qui le distingue de « Kimo » — des petits yeux bridés. « Kimo » est donc présenté comme un enfant aimant jouer dehors et se plaisant à pratiquer des activités hivernales, toutes des caractéristiques qui sont directement associées à un jeune Inuk, habillé identiquement, mais se distinguant seulement par l’activité qu’il pratique (la pêche) et par ses yeux bridés.

Esquisses biographiques

Maurice Petitdidier

Maurice Petitdidier était un illustrateur franco-canadien connu pour ses BD religieuses, d’humour et d’aventure pour enfants. En 1957, Petitdidier est engagé par Fides pour illustrer ses revues Hérauts, Le Petit Héraut ainsi qu’une revue de la Jeunesse étudiante catholique, François. Petitdidier est bien connu pour ses personnages de Fanchon et de Jean-Lou qui apparaissent dans Hérauts et Le Petit Héraut. La BD était tellement populaire que Fides change le nom de sa revue destinée aux plus jeunes qui devient, en 1960, Fanchon et Jean-Lou. Grace à Petitdidier, les BD québécoises commencent un mouvement d’autonomisation et d’indépendance des BD américaines desquelles étaient tirées les planches illustrées jusqu’alors.

Paule Daveluy

Paule Daveluy (1919-2016) était une écrivaine pour la jeunesse et une traductrice québécoise dont la carrière est importante pour les débuts de l’industrie de la culture jeunesse au Québec. Elle a publié dans de nombreuses maisons d’édition, comme Fides, Pierre Tisseyre, et Jeunesse, ainsi que dans plusieurs magazines pour enfants et adultes. Daveluy a écrit dans la revue Claire des histoires réalistes pour les jeunes filles. Une figure importante dans la littérature jeunesse, elle s’est mérité le titre de Chevalier de l’ordre national du Québec en 1999 pour son œuvre.

SOURCE : https://advitam.banq.qc.ca/notice/531631

Henriette Major

Henriette Major (1933-2007) était une écrivaine de livres et d’émissions de télévision québécoises. Ses œuvres étaient non seulement populaires au Canada, mais aussi en France et en Belgique. Elle écrivait aussi périodiquement dans les revues comme Châtelaine et Macleans. Pendant son temps à la Jeunesse étudiante catholique, elle a fait partie de l’équipe de rédaction de la revue Claire. La contribution de Major à la littérature jeunesse québécoise est tellement remarquable que les Éditions Dominique ont consacré un prix littéraire à son nom.

SOURCE : Ginette Guindon, « Henriette Major (1933-2006) ou les malheurs de Sophie orpheline » Lurelu, vol. 30, No. 1, (Printemps-Été 2007) et https://www.bac-lac.gc.ca/fra/recherchecollection/Pages/notice.aspx?app=fonandcol&IdNumber=3855477

Ambroise Lafortune

Ambroise Lafortune (1917-1997) était non seulement prêtre, mais aussi écrivain et animateur à la radio et à la télévision pour jeunes et adultes. Ambroise est né et a vécu toute sa vie à Montréal, mais il était aussi un grand voyageur. Ses voyages dans 150 pays ont inspiré son écriture. Homme impliqué depuis sa jeunesse avec les scouts et les guides, ses écrits sont également inspirés par le scoutisme, un sujet qu’on voit souvent revenir dans les BD de notre corpus. Le père Ambroise était impliqué dans de nombreuses initiatives catholiques pour la jeunesse : il devient membre de la JEC en 1944 et membre fondateur de la PEN (Presse Étudiante Nationale). Il écrivit des romans historiques comme Le fils d’Akouessan publié dans la revue Héraults. Une des grandes passions d’Ambroise Lafortune était l’enseignement du catholicisme aux jeunes à travers la lecture.

SOURCE : https://advitam.banq.qc.ca/notice/617098

Paul-Aimé Martin

Paul-Aimé Martin était un prêtre catholique connu entre autres pour la fondation de la maison d’édition Fides. Né en 1917, il fonde sa maison d’édition à seulement 24 ans, en 1941, après quelques années à rédiger différentes publications telles que Mes fiches. La volonté derrière la création de Fides était de moderniser les publications de l’Église catholique, jusque-là assez banales. Les illustrés Hérauts sont un bon exemple d’innovation de la part de Fides dans cette sphère. Le père Martin sera le directeur de cette maison d’édition pendant 37 ans. Il aura aussi été bibliothécaire, professeur et directeur de différentes bibliothèques religieuses. Il s’est éteint le 26 septembre 2001 et est enterré à Montréal.

Nicole Germain

Nicole Germain (1917-1994) est une actrice, animatrice, écrivaine, et journaliste québécoise. Elle a commencé sa carrière comme animatrice de radio dans les années 1930 et elle a reçu le titre de « Miss Radio 1946 » quelques années plus tard. Grâce à son succès, Nicole Germain anime ses propres émissions de radio à Radio-Canada et à CKAC. Le nom, l’image et la réputation de Germain sont utilisés dans la revue Claire afin d’influencer de manière positive les jeunes filles qui lisent la revue en leur présentant une vedette québécoise comme exemple.

SOURCE : https://advitam.banq.qc.ca/notice/586383