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Ligne du temps

Comparaison entre deux revues pour adolescentes

Claire (1962) et Cool! (2022)

Par Sophier Poirier, 2022.

Introduction

Dans le monde des revues jeunesse, le public des adolescentes de 12 à 15 ans représente un groupe à part. Le magazine de ce type le plus connu de nos jours demeure le magazine Cool!. Cependant, il n’est pas le premier à viser de manière précise les jeunes Québécoises. Plusieurs revues du même genre ont vu le jour dans les années 1980 et 1990, mais ce phénomène a d’abord débuté au Québec à la fin des années 1950 avec le magazine Claire. En analysant le contenu de cette publication, il s’en dégage plusieurs similitudes avec des revues pour adolescentes actuelles. Bien que le contexte des années 1960 soit très différent de celui des années 2020, il n’en demeure pas moins que le public visé par les magazines des différentes époques reste le même. Je propose donc une comparaison entre la revue Claire et la revue Cool!, encore publiée aujourd’hui, afin de mieux comprendre comment les adolescentes et la féminité sont perçues dans deux magazines pour adolescentes, à 60 ans d’écart.

Méthodologie

Le nombre de revues publiées chaque mois lors de l’année 1962 pour Claire et lors de l’année 2022 pour Cool!

Janv. Févr. Mars Avril Mai Juin Juillet Août
Claire 1 2 2 2 1 1 0 0
Cool! 1 1 1 1 1 1 1 1

Sept.

Oct. Nov. Déc. Total
Claire 1 2 2 2 16
Cool! 1 1 1 1 12
Contexte des deux revues

La revue Claire est un magazine visant les adolescentes canadiennes-françaises qui a été publié de 1957 à 1964, majoritairement au Québec, mais aussi dans le reste du Canada (Lavigueur, 1993, p. 43). Elle constitue la version féminine de la revue François, qui était destinée aux garçons du même âge. Cette publication était éditée par la JEC, qui publiait d’autres revues et des livres jeunesse à la même époque. L’objectif était de montrer aux jeunes comment agir en bon chrétien, en plus de leur donner le goût de la lecture (Pouliot, 2005, p. 216). La revue Claire se situe donc dans un contexte où le monde des revues pour enfants et adolescents était très dynamique, et au début d’une période de changements sociaux, apportés par les débuts de la Révolution tranquille.

Le magazine Cool!, quant à lui, a vu le jour en 1997 et est toujours publié aujourd’hui. Dans le contexte actuel, la vie des adolescentes est fort différente de celles ayant grandi dans la première moitié des années 1960. En effet, dans cette publication, on voit très bien l’influence du « star-système » américain, l’impact de la société de consommation et l’importance qu’ont les médias sociaux dans la manière dont les jeunes filles perçoivent leur corps (Lebreton, 2009, p. 87). Les premières années de publication de Cool! Sont également marquées par la participation du magazine au phénomène d’hypersexualisation, c’est-à-dire le processus qui consiste à sexualiser à outrance les adolescentes par le biais des vêtements, du maquillage, de l’attitude et des comportements (Lang, 2012, p. 248). La réalité des adolescentes du 21e siècle est donc très différente de celle que connaissaient les lectrices de la revue Claire il y a 60 ans. Malgré tout, l’histoire étant rupture, mais aussi continuité, certaines similitudes peuvent être relevées entre les deux publications.

Struture des revues

D’abord, il est pertinent de s’attarder à la structure et à la présentation des deux magazines. La revue Claire était composée de 36 à 40 pages par édition, tandis que Cool! compte 70 pages par numéro. Cette différence s’atténue lorsqu’on considère que Claire était publiée de manière bimensuelle, alors que Cool! l’est de manière mensuelle; le nombre de pages mensuel est donc équivalent. En plus de cela, il est possible d’observer quelques similitudes au niveau de la structure. En effet, dans les deux revues, les mêmes segments ou chroniques reviennent régulièrement d’une édition à l’autre, le plus souvent dans un ordre similaire. Ainsi, les lectrices, avant même d’ouvrir leur revue, savent qu’elles vont retrouver leurs rubriques et leurs articles favoris et peuvent même s’y rendre directement.

L’apparence des deux revues est au contraire bien différente. En effet, dans le cas de Claire, la présentation est épurée et moins chargée que dans les Cool!. Dans Claire, les photos sont plutôt rares, et parmi celles qui sont présentes, elles sont pour la plupart en noir et blanc,époque oblige! Il y a par ailleurs beaucoup plus de dessins que de photos pour illustrer le magazine. De plus, les couleurs choisies sont très peu éclatantes. Elles s’apparentent à des couleurs plus foncées et plus terreuses, comme le bourgogne, le bleu foncé, le vert foncé, etc. Tout cela représente une grande différence avec le magazine Cool!, dont la mise en page est complètement à l’opposé. Ses pages sont surchargées de couleurs vives, de photos et d’autres éléments décoratifs. Il y a une volonté d’attirer l’œil des lectrices, qui n’est pas aussi évidente dans la présentation beaucoup plus modeste et conservatrice de la revue Claire.

Thèmes abordés

En observant les différents thèmes abordés dans les deux revues, on peut rapidement comprendre ce qui intéresse leur lectorat, mais aussi en savoir davantage sur les préoccupations qu’ont les adolescentes des deux époques. Cependant, on peut se questionner sur la place que prennent les producteurs des revues dans le choix des sujets qui sont mis de l’avant, par rapport aux intérêts réels des lectrices pour ces sujets. Les thématiques qui reviennent aident donc à comprendre comment la féminité était perçue et construite dans la première moitié des années 1960, et comment elle l’est aujourd’hui.

Dans la revue Claire, les thèmes sont très variés. Les sujets qui reviennent le plus souvent touchent la vie étudiante, les perspectives d’emploi, la vie religieuse, les relations avec les garçons, les différences entre les filles et les garçons, la culture locale et étrangère, mais aussi la beauté, l’apparence physique et l’étiquette. En fait, l’objectif de la revue Claire semble véritablement être de parler de la réalité que vivaient les adolescentes en leur apportant des conseils, en plus de les préparer à devenir des femmes adultes (Lavigueur, 1993, p. 43). En comparaison, les thématiques abordées dans le magazine Cool! sont beaucoup moins variées. Elles sont plutôt axées sur les vedettes qui sont suivies par les jeunes, sur la culture populaire, sur la mode, les produits de beauté et les relations avec les garçons et les amies. Ces sujets étaient aussi abordés dans les revues Claire, mais ils ne représentaient pas l’entièreté du contenu de la publication, contrairement au magazine Cool!. Il est donc intéressant de remarquer que certains thèmes, comme les perspectives d’emploi et la vie religieuse, ont été retirés du contenu actuel, alors que d’autres ont pris plus d’espace. Au contraire de la revue Claire, qui touchait à tous les aspects de la vie des filles et qui les portait davantage à la réflexion, le magazine Cool! semble répondre à des impératifs plus commerciaux et superficiels. Cela s’explique probablement par l’essor d’un néolibéralisme mondialisé, qui encourage les filles à dépenser et à tenter de s’inspirer de leurs vedettes favorites pour améliorer leur apparence physique et accroitre leur féminité (Lebreton, 2009, p. 94-95). Certains éléments qui étaient déjà associés à la féminité dans la revue Claire, soit l’apparence physique et la mode, ont donc été repris et amplifiés afin de composer les thèmes les plus importants du magazine Cool!.

Ton des revues

Un autre élément de comparaison fort intéressant entre les deux publications est celui du ton qui est employé pour parler aux lectrices. Étonnamment, même avec 60 ans d’écart, il est très similaire dans les deux revues. En effet, dans les revues Claire, le ton employé est plutôt moralisateur et prescriptif. Cela vient probablement du fait qu’il s’agit d’une revue éditée par des jeunes (et moins jeunes) adultes de la JEC. De plus, plusieurs intervenants différents signent des chroniques chaque mois, chacun avec le ton d’un adulte qui s’adresse à une adolescente. Certains de ses chroniqueurs ont un ton particulièrement condescendant envers les lectrices, comme si leurs intérêts et leurs opinions n’étaient pas assez bons pour eux. C’est le cas de celui qui signe ses chroniques du nom de Christian. Dans ses textes, il juge, et même rabaisse les lectrices, qui n’hésitent pas à lui répondre pour lui souligner leur désaccord (Claire, 1er mars 1962, p. 15). On remarque donc dans les Claire une certaine hiérarchie entre les intervenants et les lectrices auxquelles ils s’adressent.

Dans un autre ordre d’idées, la revue Claire est rédigée avec du vocabulaire facile à comprendre et est composée de phrases assez simples. On remarque très bien la volonté de publier une revue accessible à toutes les jeunes Canadiennes françaises. En plus de ses phrases faciles à comprendre et du ton prescriptif, le magazine Claire est écrit de manière à interpeller les adolescentes, c’est-à-dire qu’il utilise un vocabulaire et des tournures de phrases qui sont plus familières.

Le magazine Cool! Contient moins de chroniqueurs ou chroniqueuses que Claire. La majorité des articles est donc rédigée de manière plus anonyme. Par contre, comme pour son prédécesseur, le magazine Cool! Est écrit avec du vocabulaire facile à comprendre et des phrases simples. En plus de cela, la volonté d’avoir l’air « cool » auprès des jeunes lectrices est très évidente dans l’écriture de la publication. En effet, la revue utilise le ton de « la grande sœur » pour essayer de conseiller, d’aider, mais aussi pour être plus accessible et plus proche de la réalité des adolescentes (Lebreton, 2009, p. 98). Malgré ces apparences de différences, qui relèvent peut-être davantage des évolutions sociales dans le rapport à l’adolescence, le ton utilisé demeure très normatif, voire prescriptif. En effet, en essayant de s’adresser directement aux lectrices et en adoptant un vocabulaire plus près de celui qu’emploient les jeunes filles, le magazine montre une voie à suivre pour être une adolescente féminine populaire. Donc, malgré le fait que Cool! tente de se mettre sur un pied d’égalité avec ses lectrices, il montre quand même de manière très stéréotypée comment agir. Il s’agit donc d’une autre façon de présenter une vision normative de ce qu’est être adolescente, même si cela nous semble plus subtil que dans la revue Claire.

Les voix des lectrices

Dans les deux revues, les adolescentes abonnées aux magazines sont invitées à prendre la parole et à envoyer leurs questions afin que des intervenant.e.s de la publication puissent y répondre. Dans le cas de Claire, la place donnée aux voix des jeunes filles est très importante. En effet, les adolescentes étaient régulièrement invitées à envoyer leurs questions et à faire valoir leurs opinions et leurs réactions. La participation des lectrices parsème donc presque l’ensemble de la revue. On constate en quelque sorte l’instauration d’un dialogue entre les intervenants de la revue et les lectrices. En comparaison, dans le magazine Cool!, la place donnée aux voix des lectrices n’est pas aussi grande que dans Claire, même si elle existe. Cela se traduit le plus souvent par un courrier des lectrices et par le partage d’histoires embarrassantes. Parfois, des dossiers complets sont faits afin de répondre à des questions envoyées de manière récurrente. Par exemple, un dossier sur la gestion des poils et des cheveux a été rédigé afin de répondre aux nombreuses questions que les lectrices envoyaient à ce sujet (Cool!, février 2022, p. 44-49).

Cependant, au-delà de la place allouée aux voix des adolescentes, celles-ci démontrent quelles étaient les préoccupations des lectrices pour les deux époques. Bien entendu, ce sont les producteurs et les productrices des revues qui choisissent les questions et les lettres qui sont publiées dans le magazine, mais cela nous donne quand même un accès aux voix des adolescentes. Dans le cas des lectrices de Claire, les jeunes filles s’expriment au sujet de toutes les sphères de leur vie. Des questions sur les situations avec les parents, sur les perspectives d’emploi, sur les passe-temps qu’elles pratiquent ou souhaitent pratiquer, des questions sur les relations avec des amies, avec des garçons, et plusieurs questions sur l’apparence physique forment l’essentiel de leurs préoccupations. En comparaison, les questions qui sont posées par les lectrices du magazine Cool! sont moins variées, mais recoupent certaines interrogations qu’avaient les lectrices de Claire, notamment sur les relations d’amitié, sur les garçons, sur l’apparence et sur les relations avec les parents. Un élément se distingue de façon évidente dans les magazines de 2022 : les questions sur la sexualité! Ce sujet n’était pas abordé dans la revue des années 1960.

Conclusion

En conclusion, en analysant les revues Claire de l’année 1962 et les magazines Cool! de l’année 2022, il est possible de constater plusieurs différences, mais également des similitudes, voire des continuités. En effet, même si les contextes sont très différents, les deux revues étudiées sont des manières d’enseigner, ou de prescrire, la féminité aux adolescentes qui les lisent. Certains éléments, comme la mode, les relations avec les garçons et l’apparence physique semblent demeurer des points centraux dans les préoccupations des adolescentes. La place accordée à ces sujets dans les magazines pour jeunes filles peut donc être une conséquence des intérêts des lectrices, mais cela peut aussi consister en une stratégie pour leur inculquer un modèle de féminité normative et réguler leurs comportements.