Des enfants d’hier racontent
Jeunesse d’hier, voix d’aujourd’hui : une histoire orale de la jeunesse togolaise des année 1950-1960
Par Edith Agli Kossi, 2022.
L’objectif de cette étude est de présenter la vie d’adolescent(e)s et de jeunes des années 1950 et 1960 au Togo afin d’exposer le vécu de ces derniers.ières pour apporter un volet international à l’analyse produite sur ce site. Pour se faire, une entrevue orale a été faite avec deux personnes (un homme et une femme) qui sont nées entre les années 1950 et 1960 au Togo et qui y ont vécu. Deux principales thématiques sont sorties de notre discussion : (I) l’enfance, le milieu et les conditions de vie ; (II) les réalités ludiques.
Cette présentation est émaillée par des citations issue des entrevues et analysées à partir de l’histographie.
Portrait des interviewé(e)s
- Nous avons d’abord Yao, marié et père de quatre enfants ; il est né le 2 mai 1957 à Lomé, la capitale du Togo, et y a vécu jusqu’à l’âge de huit ans, avant de rejoindre son oncle dans un petit village (Agbonou) dans la région des plateaux. Issu d’une famille polygame de 12 femmes et d’une fratrie de 18 enfants, Yao est originaire du groupe ethnique mina. Lui et sa famille ont vécu une vie précaire à l’image de la vie de la majorité de la population à cette époque. Son père était un instituteur agronome et sa mère une commerçante.
- Puis Ayaba, mariée et mère de quatre enfants : née le 30 mars 1960 à Lomé, elle y a vécu toute sa jeunesse. Fille d’un père agriculteur-pécheur et d’une mère commerçante, Ayaba est issue d’une famille de cinq enfants (quatre filles et un garçon). Elle est une descendante de l’ethnie Bé (le groupe autochtone). Tout comme Yao elle a vécu une vie précaire.
Il faut préciser qu’il s’agit ici de pseudonymes. Chaque participant.e a signé un formulaire de consentement dans lequel iel accepte de participer au projet en sachant que ses propos seront analysés et mis en ligne de manière anonyme.
Une enfance au Togo (1950-1960) : retour sur les valeurs éducatives traditionnelles
Grandir dans un environnement dans lequel les valeurs traditionnelles sont dominantes n’a pas été indulgent. La cohérence sur l’uniformité des principes éducatifs est la base qui régissait la société togolaise. La famille est alors la source de base de la société. Elle façonne l’enfant dès son jeune âge et l’avenir de ce dernier est tributaire des conditions socio-économiques de sa famille. L’enfant est le facteur de socialisation par excellence. Mais très souvent, par exemple dans les familles polygames comme celle de Yao que j’ai interviewé, la cohabitation est sérieusement menacé. Yao se rappelle en ces mots :
Je suis né d’une famille polygame. Ma mère était la cinquième femme de mon père. Il avait 12 femmes au total et 16 enfants. Je n’ai pas grandi avec mon père parce que ma mère a dû quitter son foyer pour retourner vivre avec son père.
Les acquis historiques sont les valeurs qui se sont acquises et qui se sont perpétuées d’âges en âges et dont la validité s’est confirmé au-delà des changements sociaux des horizons temporels et culturels récents. Les valeurs transmises aux jeunes des années 1960 que j’ai interviewé sont : la suprématie de la collectivité sur l’individu ; la solidarité responsable ; le respect dû aux ainés et aux vieillards ; le travail collectif et communautaire. Il y avait aussi les valeurs associées aux qualités morales telles que le courage, l’honnêteté, l’obéissance, la politesse, le sens de responsabilité, l’intégrité et j’en passe.
L’éducation traditionnelle et l’autorité parentale
Au Togo, l’éducation n’est pas question de « personnes », de « parents », de « proches », etc… c’est une question de collectivité. Les enfants sont parfois appelés à grandir loin de leurs parents chez un proche membre de la famille ou juste avec un tuteur qui s’engage auprès des parents pour assurer son éducation.
Yao : À 8 ans j’ai quitté ma mère pour rejoindre mon oncle paternel à Agbonou un petit village d’Atakpamé où j’ai fait mon parcours primaire et secondaire avant de retourner vivre avec mon père après le secondaire.
Ayaba : Après le départ de ma mère, mon père nous a confié moi et ma sœur à ma tante avec qui j’ai grandi. J’ai vécu avec elle jusqu’à mon mariage. Ce n’est qu’après ça que je l’ai quitté pour rejoindre mon mari.
« Ce n’était pas si pire mais j’en aurai voulu une meilleure ». C’est avec cette phrase qu’Ayaba nous résume ses ressentis par rapport à l’enfance qu’elle a vécu. Non seulement l’éducation était stricte et disciplinaire, elle aidait à la maintenir dans une position de soumission et de crainte vis-à-vis des parents, de la famille et des ainé(e)s, se rappelle-t- elle.
Quand une personne âgée parle l’enfant ne répond pas ; on baisse la tête devant un ainé, quand on te reproche des faits même si tu as raison on ne réplique pas aux accusations d’un ainé…
Cette citation d’Ayaba exprime bien l’ampleur du poids de la tradition dans le système éducatif de la petite enfance au Togo. Ce poids est de deux catégories : celles liées à l’éducation traditionnelle c’est-à-dire aux méthodes, aux principes, et aux techniques de l’éducation traditionnelle et celles relatives aux contenus transmis par l’éducation. Pour appréhender l’idée de cette autorité il faut comprendre ici que la parole des parents, des ainés, et spirituellement des ancêtres transmis par les oracles, sont automatiquement vérité.
Dans l’article «L’autorité éducative en questions dans le contexte togolais ? Une recherche en milieu éwé-watsi», Nassira Hedjerassi et Abaly Hodanou, illustrent cela de façon imagée par une métaphore d’un sage burkinabé : selon lui « l’éducation d’aujourd’hui passe dans un monde de cane » (Hedjerassi et Hodanou, 2007, p. 2). Elles poursuivent « alors que la poule marche à la tête de ses poussins comme pour leur servir de guide, la cane suit plutôt les canetons, comme pour mieux veiller sur eux » (Hedjerassi et Hodanou, 2007, p. 2). Cette illustration explique les changements qui sont intervenus dans le système éducatif. Cela suscite des réflexions sur l’autorité éducative.
Jeunesse d’hier, voix d’aujourd’hui : une histoire orale de la jeunesse québécoise des années 1950 et 1960
Par Marc-Antoine Bouchard-Racine, 2021.
Afin d’enrichir notre compréhension de la jeunesse québécoise des années 1950 et 1960, j’ai mené trois entrevues d’histoire orale avec des personnes nées au début et à la fin des années 1940. Deux thématiques issues de ces conversations sont présentées ici : la pratique des loisirs ainsi que la guerre froide et l’actualité internationale. Cette présentation est agrémentée de citations tirées des entrevues et analysées à partir de l’historiographie.
Portraits des interviewé.e.s :
- Nous avons d’abord Roger*, un homme né en 1949 dans un petit village d’Abitibi-Ouest. Roger est l’aîné d’une famille nombreuse, avec une fratrie de 8 frères et sœurs, et vivant dans des conditions socio-économiques précaires. Ces conditions sont typiques de la vie à la campagne des premiers colons de la région. Son père était travailleur saisonnier pour le ministère de la Colonisation et s’occupait de la terre en faisant vivre sa famille de l’agriculture, alors que sa mère gérait le foyer.
- Ensuite, Armand, un homme né en 1941 à Rouyn et ayant grandi dans cette même ville. Ce dernier provient également d’une famille nombreuse, étant parmi les plus jeunes d’une fratrie de 11 frères et sœurs. Armand est issu d’un milieu ouvrier dans lequel plusieurs membres de la famille travaillent dans la petite entreprise familiale. Son père a pratiqué plusieurs métiers, notamment celui d’épicier, de mineur et de bûcheron, alors que sa mère était femme au foyer.
- Enfin, Louise, une femme née en 1949 à Montréal et ayant grandi dans la métropole. Aînée d’une fratrie de 6 enfants, Louise provient également d’une famille ouvrière dans laquelle le père multiplie différents emplois, notamment ceux d’électricien et de débardeur au Port de Montréal.
*Il faut préciser qu’il s’agit ici de pseudonymes. Chaque participant.e. a signé un formulaire de consentement dans lequel iel accepte de participer au projet en sachant que leurs propos seront analysés et mis en ligne de manière anonyme.
Les loisirs
Adaptation du rôle de l’Église
Les différentes activités sportives et culturelles organisées par l’Église pour les jeunes viennent témoigner de l’adaptation qu’elle a connue quant à son rôle dans la société québécoise. Elle s’est impliquée auprès des jeunes et a adopté un nouveau rôle actif auprès d’eux en organisant différentes activités favorables à leur socialisation, notamment des sports, du cinéma après la messe ou encore des danses.
Comme nous renseignent Robert Cadotte et Anik Meunier avec leur ouvrage L’école d’antan (1860-1960) : découvrir et se souvenir de l’école au Québec, dans les années 1950, les organisations religieuses parascolaires sont encore présentes et très actives dans les écoles du Québec (Cadotte et Meunier, p. 25). On y retrouve, entre autres, les Enfants de Marie, la Ligue du Sacré-Cœur ou encore la Jeunesse étudiante catholique (JEC). L’une des plus connues, notamment à cause de leurs costumes, est celles des Croisés et des Croisillons (Ibid.). Comme se souvient Louise :
Dans ce temps-là, il y avait des regroupements de jeunes. Moi pis ma sœur on a été Croisillons, pis on a été Croisées. On avait une belle p’tite cape avec un p’tit béret bleu avec une croix.
On attend des jeunes qui font partie de cette organisation d’assister à différentes messes sur une base régulière, et parfois aussi, de participer à différents évènements tels que des professions de foi.
Si la présence de ces organisations demeure importante, l’expérience de Roger, dans son village d’Abitibi-Ouest, démontre autre chose. Son histoire illustre bien l’implication nouvelle de l’Église au sein de la paroisse, mais elle est également révélatrice des différentes fonctions sociales que le curé occupe dans le village :
Le curé, dans le temps, c’était lui qui s’occupait des loisirs. C’est lui qui s’occupait de venir faire nettoyer la patinoire, c’est lui qui venait arbitrer nos parties de hockey. Il voulait des fois organiser des parties de hockey contre d’autres villages. La religion pis le contact avec le monde, il avait son gros mot à dire, il s’en mêlait beaucoup.
« Il s’en mêlait beaucoup ». C’est dans ces termes que Roger résume l’implication du curé dans la vie sociale, sportive et culturelle du village. Non seulement il aidait à entretenir les installations extérieures permettant la pratique de sports d’hiver, il s’impliquait activement dans les parties de hockey en tenant le rôle d’arbitre. On peut supposer qu’il aimait particulièrement cela, quand Roger nous dit :
Il nous faisait manquer l’école pour aller jouer au hockey. T’as 12-13 ans, pis t’as une journée, un avant-midi complet où tu joues au hockey, tu t’en rappelles.
Il nous faisait manquer l’école pour aller jouer au hockey. T’as 12-13 ans, pis t’as une journée, un avant-midi complet où tu joues au hockey, tu t’en rappelles.
On comprend bien ici les nouveaux rôles que s’attribue le curé du village en milieu rural. À Montréal, l’église pouvait servir de lieu de rencontre et de socialisation pour les jeunes, comme l’a découvert Roger en arrivant dans la métropole pour la première fois, âgé de 19 ans :
En y allant (à l’église), des fois, le curé disait: “Samedi prochain, il va y avoir une soirée pour les jeunes qui ont pas d’amis, qui sont seuls, qui s’ennuient. Il va y avoir de la musique, de la danse…”. Le curé était pas là nécessairement, mais c’est lui qui organisait ça.
En arrivant à Montréal depuis l’Abitibi, Roger avait l’habitude d’aller à l’église parce qu’il ne connaissait personne, ni famille ni amis. Au lieu d’arbitrer le hockey, le curé propose d’organiser différentes soirées ludiques faites de musique, de danse ou encore de cinéma. Ce genre d’activités lui a permis de faire de nouvelles rencontres et de créer des liens avec d’autres jeunes de son quartier.
Cette implication de l’Église envers le cinéma au Québec, notamment avec le développement de ciné-clubs étudiants, a été étudiée par Olivier Ménard dans son mémoire de maîtrise. Ce dernier y soutient qu’on peut comprendre le ciné-club étudiant au Québec comme un véhicule d’ouverture à la modernité culturelle, qui s’est développé au départ dans la perspective des efforts de la JEC et de l’Église de s’approprier le médium du cinéma. Cette mission se justifiait alors dans l’optique de lutter contre l’ignorance, l’inaptitude et la passivité de la population, surtout la jeunesse.
La guerre froide et l’actualité internationale
Crainte d’un conflit mondial et sentiment d’instabilité senti par les jeunes
Le contexte de guerre froide était bien senti au Québec par les jeunes. L’actualité internationale, à certains moments, résonna particulièrement chez eux. C’est le cas notamment de Roger, qui se souvient avoir eu connaissance de la crise des missiles de Cuba (1962) alors qu’il était à l’école :
La crise des missiles de Cuba… C’était quasiment la fin du monde. Ça se parlait à l’école. Ils nous faisaient prier pour pas que les Russes nous envahissent. Ça faisait peur.
Le contexte de la crise est perçu par Roger et ses camarades comme déstabilisant. On sent les adultes inquiets, on leur demande de prier. C’est une grosse charge à porter pour un enfant que de prier pour éviter que l’ennemi perçu ne vienne envahir le pays. La prière en guise de protection face à un danger d’escalade de violence dans le contexte de la guerre froide est un bel exemple du croisement entre la religion et l’actualité internationale. Censée procurer un sentiment de sécurité, elle vient plutôt créer de l’anxiété et de la peur chez les jeunes sur ce qui pourrait se passer si un conflit éclatait entre les États-Unis et l’Union soviétique. Nous pouvons imaginer et comprendre la peur vécue par les jeunes.
L’année suivante, John F. Kennedy se fait assassiner. Le sentiment d’instabilité et de peur, déjà senti auparavant avec la Crise de Cuba, est de retour :
Quand JFK est mort, la terre a arrêté de tourner.
Encore une fois, le contexte est perçu comme déstabilisant par les jeunes, qui ont conscience que quelque chose de majeur vient de se produire et que leur quotidien pourrait en ressentir les conséquences. Le tout, au final, à cause d’évènements internationaux se déroulant assez loin du Québec, mais pas assez pour laisser les gens indifférents. L’ouvrage Cold War Comforts: Canadian Women, Child Safety, and Global Insecurity, 1945-1975, de Tarah Brookfield, est intéressant pour comprendre le rôle joué par les femmes canadiennes durant la guerre froide. L’implication des femmes envers la paix et la sécurité durant cette période rend compte de leurs préoccupations pour la survie des enfants, ainsi que pour la protection de leur santé et sécurité.
Il ne fait pas de doute que la crainte et l’insécurité ressenties par les adultes se reflètent chez les jeunes. En regardant vers l’adulte, normalement censé représenter la sécurité et l’assurance, l’enfant ne peut que partager ces émotions dans un contexte aussi incertain. On comprend alors toute l’ampleur du sentiment d’instabilité habitant la société, ici québécoise, à la lumière d’évènements internationaux liés au contexte de la guerre froide.
La peur de la bombe atomique
L’incertitude et l’anxiété causées par la possibilité d’une guerre entre les États-Unis et l’Union soviétique s’accompagnent également d’une peur bien particulière, à savoir celle de la bombe atomique. Suite au visionnement d’un reportage sur Hiroshima à la télévision alors qu’elle a 16 ans, Louise raconte la grande peur qui l’habite :
J’ai tellement eu peur de mourir, ça avait pas de sens. Je voulais pas me coucher pis m’endormir parce que j’avais peur de pas me réveiller. (…) Je me rappelle que ça a commencé la journée de mes 16 ans. Je suis née au mois d’août. Au mois d’août quand le soleil se couche, ça devient rouge rouge rouge… Même la nuit, j’étais convaincue que la guerre était déclarée.
La peur de Louise était telle qu’elle redoutait de dormir et était angoissée à la vue du ciel rouge du mois d’août. Comme pour Roger, on comprend ici toute l’ampleur des émotions vécues par les jeunes de l’époque à l’idée d’une escalade de violence menant à un conflit mondial. Au Québec comme ailleurs, la peur de la bombe atomique et des radiations émergea suite à l’explosion des premières bombes (Cornett, p. 54). La stratégie du gouvernement américain pour contrer la peur chez sa population a été de produire des films axés sur la défense nationale (Ibid., p. 55), lesquels étaient souvent adressés directement aux enfants sous la forme de dessins animés (Ibid., p. 57). L’idée derrière cette stratégie était qu’on pensait les enfants enthousiastes à l’idée de pratiquer des techniques de survie nucléaire, croyant qu’ils les partageraient naturellement ensuite avec leurs parents et leurs familles. Le but recherché par le gouvernement américain était alors de calmer les peurs à travers l’éducation de la population, entre autres en misant sur la réception et la participation des enfants à de telles mesures.
Or, à la lumière du souvenir de Louise, c’était grandement sous-estimer les émotions intenses que peut procurer la peur de la bombe atomique chez les enfants à cette époque. Quelques années plus tard, au Québec et au Canada, la population pouvait se renseigner auprès des Onze étapes pour la survivance, un document publié par le ministère de la Défense nationale en 1969. Il s’agissait d’un petit cahier s’adressant à la population afin de les outiller en cas d’attaque nucléaire. On y lit que grâce à ces onze conseils, « vous pouvez augmenter de beaucoup votre propre protection et celle de votre famille » (ministère de la Défense nationale, 1969).
À consulter aussi, en lien avec la peur du nucléaire au Québec : Radio-Canada, «La peur du nucléaire chez les Canadiens dans les années 60», 29 septembre 2017.
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International