Adaptation et présence du discours religieux dans les revues publiés par Fides

Par Amynte Eygun, 2021.

Entre les années 1940 à 1960, les organisations Fides et la JEC offraient aux jeunes des revues pleines de bandes dessinées (BD) – une forme de lecture extrêmement populaire en Amérique du Nord -, mais également avec des articles sur l’actualité, les athlètes, les vedettes de télévision et de la chanson, des jeux, des concours, en plus de prières et d’articles strictement religieux. Ce n’étaient pas des revues religieuses proprement dites, mais plutôt multidisciplinaires, une lecture pour un monde catholique plus moderne.

La popularité des bandes dessinées

Les BD ont une histoire tumultueuse non seulement au Canada, mais plus généralement dans le monde occidental. Leurs imageries vives et pleines de couleurs, ainsi que leurs sujets de prédilection, à savoir l’aventure, le crime et les superhéros ont longtemps inquiété les parents, leur faisant peur que leurs petits allaient être influencés de manière négative par cette lecture. Malgré leur popularité (« (…) 98% of all children aged 8-12 read comics » [Cassidy, p. 79 *statistique américaine]) les parents nord-américains catholiques se sont généralement opposés dès les années 1930. La situation est la même au Québec, comme l’explique Michel Viau : « dans les années 1950, la bande dessinée a très mauvaise presse. Plusieurs articles de journaux traitent de la menace qu’elle présente pour la jeunesse (incitation à la violence, à la délinquance, à l’homosexualité, etc.) » (Viau, p. 33). Cette menace que ressentent les parents vient du contenu illustré des BD, l’imagerie au premier plan à la place de l’écriture n’encourage pas les parents des jeunes lecteurs à les acheter, mais cela attire les enfants, puisque les BD sont un médium accessible à tout le monde, que l’on puisse lire ou non. Les éditeurs québécois catholiques ont reconnu cette accessibilité et cet amour des jeunes pour les BD et ils ont trouvé un moyen de reconstruire la BD d’une manière qui conviendrait aux parents, aux enfants et à la propagation de la religion catholique.

Pendant le milieu du 20e siècle, les genres les plus populaires en BD étaient « la contestation, l’humour, et l’aventure » (Falardeau, p. 40), et les éditeurs catholiques ont suivi cette mode déjà bien établie. En utilisant des BD avec un sujet de base déjà populaire comme l’aventure, les éditeurs Fides et la JEC ont simplement remplacé les personnages et le sujet, en gardant le sens de l’aventure et de l’héroïsme. Par exemple, dans l’illustration ci-contre, le style original de la BD est respecté (l’imagerie en blocs, le texte en deuxième plan) ainsi que le genre d’aventure et d’héroïsme, mais le sujet de la BD est religieux. La BD suit la vie d’Emmanuel Joseph Marie Maurice Daudé d’Alzon, un prêtre français et le « premier supérieur général des Augustins de l’Assomption, ou Assomptionnistes » (Paradis, p. 184). Un autre exemple d’une BD reformulée en histoire religieuse est la BD Notre Dame de Fatima : Reine du très Saint Rosaire (voir illustration). Cette BD suit l’aventure de trois jeunes bergers qui ont vécu l’apparition de Notre Dame de Fatima. L’éducation religieuse de jeunes peut être une épreuve compliquée, et le but de Fides et de la JEC était d’intéresser les jeunes au catholicisme, de les impliquer dans la communauté, et de les éduquer d’une manière amusante. Comme l’explique Charlène Paradis, « l’espoir d’un renouvellement de l’enseignement religieux, un désir de mieux connaître et d’encadrer les adolescents et une volonté de s’adapter au monde moderne caractérisent les objectifs de l’enseignement de la religion durant la décennie 1950 » (Paradis, p. 184). L’utilisation du format BD et de la revue donne aux jeunes une imagerie à laquelle ils peuvent se référer, ainsi qu’une explication de la religion d’une manière plus facile à comprendre.

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La commercialisation de Noël

Les fêtes religieuses sont très présentes dans l’imagerie et le contenu des revues Hérauts, Claire, François, Ave Maria, Stella Maris et l’Abeille. La fête la plus anticipée pour les jeunes en général était Noël, puisque la fête était majoritairement commercialisée vers les enfants. À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, Noël est reconnu comme une fête majeure, célébrée par non seulement les chrétiens, mais aussi les personnes athées. Noël était déjà une fête extrêmement commercialisée. Depuis le début du 20e siècle, le Père Noël était la figure centrale de la saison, et non pas le bébé Jésus, comme l’explique Jean-Philippe Warren : « Santa Claus s’est imposée comme figure mythique de Noël […]. La publicité n’affiche que lui, ne parle que de lui » (Warren, p. 203). « La transformation commerciale est encore plus radicale : « la fête de la Nativité est devenue l’événement consumériste par excellence de la société contemporaine » » (Melançon citant Warren, p. 204). C’est impossible de changer le récit commercialisé de Noël que les jeunes des années 1940 et 1950 comprennent et célèbrent ; celui du Père Noël qui emmène des cadeaux aux enfants sages. Les éditeurs de Fides et de la JEC comprennent ce défi. À la place de persuader les jeunes de célébrer Noël pour la naissance de Jésus et l’histoire religieuse de la Bible, ils ont créé leur propre récit, où ils encouragent l’aspect religieux de Noël (l’Avent, la naissance de Jésus, la paix, la générosité) tout en gardant des éléments du Noël commercialisé nord-américain. « [L’] interprétation selon laquelle les nombreuses oppositions structurelles du nouveau Noël consumériste – que Santa Claus en soit venu à incarner à la fois la culture matérialiste et les valeurs chrétiennes en est peut-être le meilleur exemple – expliquent la transformation réussie de la culture traditionnelle canadienne-française par le consumérisme. La culture religieuse fut réinventée plutôt que d’être détruite » (Rudy, p. 615). Ils offrent des revues « édition Noël », tout en mettant de l’avant l’imagerie religieuse, et en offrant des jeux, articles, et activités avec le thème du Noël commercial et du Noël religieux (voir illustrations).

Les éditeurs des revues dans notre corpus ne désirent pas ruiner la magie de Noël et du Père Noël pour leurs lecteurs, mais ils veulent être sûrs que la prochaine génération comprend pourquoi les catholiques célèbrent cette fête, et comment agir de manière généreuse et affectueuse pendant la saison. Dans l’une des illustrations ci-bas, on voit un conte de Noël publié dans la revue Stella Maris en décembre 1963. Ce conte raconte une histoire qui fusionne le « Petit Jésus » et le Père Noël, afin de créer une relation entre le Noël commercialisé et le Noël religieux. En créant un récit où le Père Noël livre des cadeaux de la part du petit Jésus, les éditeurs s’assurent que les jeunes lecteurs comprennent que Noël est fêté grâce à la naissance du petit Jésus et non en raison des cadeaux du Père Noël. Les jeunes sont attirés par les couvertures et l’imagerie rouge vif, décorées d’arbres de Noël, de houx, de cloches et de cadeaux, et après leurs coloriages et jeux de Noël, ils ont accès à des récits religieux basés sur les vies des saints, et des prières embellies d’images du bébé Jésus dans la crèche. Les revues de Noël permettaient à Fides et à la JEC de faire comprendre la naissance de Jésus aux jeunes à travers de l’imagerie et des activités, encore une autre étape en plus pour éduquer les jeunes et pour rendre la religion catholique plus facile à digérer. Selon Paradis, « en effet, les acteurs du monde scolaire seront nombreux à vouloir dépasser l’instruction religieuse afin d’éduquer la foi des enfants, de leur faire vivre leur religion et de l’adapter à leur développement physique et psychologique » (Paradis, p. 67).

Conclusion

On comprend que des revues religieuses ne sont pas toujours le premier choix de lecture pour les jeunes, mais comme on a vu à travers cette analyse, les éditeurs Fides et la JEC ont comme but d’attirer les jeunes aux revues, pour cultiver une culture et une foi catholique dans la nouvelle génération. Les revues de notre corpus étaient non seulement distribuées mensuellement (et dans plusieurs cas bimensuellement) par la poste aux maisons des abonnés, mais elles étaient aussi distribuées dans les écoles catholiques, les pensionnats et les couvents. La distribution des revues dans les écoles était non seulement un grand bénéfice pour les éditeurs Fides et la JEC ; ils avaient accès à un plus grand lectorat, les abonnements obtenus grâce aux institutions ramenaient un financement important, mais c’était aussi un bénéfice pour les écoles qui s’y abonnaient ; l’enseignement de la religion devenait plus facile pour les enseignants, les jeunes arrivaient à mieux connaitre le catholicisme sans même s’en rendre compte. Les revues, et surtout les BD évitaient aussi la présence de BD et lectures jugées non appropriées pour les jeunes ; puisque le contenu était tellement similaire. C’était bien évidemment le but de Fides et de la JEC de contextualiser les BD au Québec comme des œuvres religieuses pour les jeunes. Dans le cas des deux éditeurs, mais en particulier la JEC, c’était important de pouvoir attirer les jeunes de familles plus pratiquantes, mais aussi ceux des autres familles. Cette idée d’enseigner la religion à tous revient à une base fondamentale du catholicisme, de convertir les personnes qui sont vues comme des êtres qui doivent être « sauvées ». « (…) Dès les années 1920, les nouveaux instituts missionnaires créèrent des réseaux de communications et de financement mettant le projet missionnaire à l’avant-scène de la vie catholique québécoise par le biais de revues et d’autres médias, d’expositions et de l’animation dans les paroisses et les écoles » (LeGrand, p. 94). Il est probable que les éditeurs Fides et la JEC se voient comme des missionnaires pour les jeunes à travers leurs publications.

Pendant notre recherche approfondie des revues de notre corpus, on a appris comment les magazines Hérauts, Claire, François, Ave Maria, Stella Maris, et l’Abeille étaient un élément important dans la communauté catholique au Québec, et même dans d’autres provinces comme le Nouveau-Brunswick, l’Ontario et l’Alberta. Ces revues servaient comme divertissement pour les jeunes lecteurs qui pouvaient lire des BD stimulantes, faire des jeux et des activités, et même tenter leur chance à des concours. Ces revues étaient aussi un outil religieux, utilisé pour essayer d’enseigner le catholicisme aux jeunes, leur montrer comment agir de façon chrétienne et saine, et même servir comme remplacement aux « comics » classiques (américains et canadiens) qui offraient des sujets jugés malsains, comme la violence, la dépendance, et les relations sexuelles. Les revues avaient comme but de rendre la religion plus facile à comprendre pour les jeunes, le même phénomène qu’on voit aujourd’hui avec les bibles illustrées pour enfants. Les éditeurs utilisaient ce qui était populaire avec les jeunes de ce temps ; les BD, le courrier des lecteurs, les actualités, et l’emphase sur des fêtes comme Noël et Pâques. En infusant la religion dans des médiums que les enfants aimaient, les éditeurs ont possiblement réussi à agrandir leur lectorat et rejoindre des jeunes athées, un des buts des éditeurs JEC, spécifiquement.