Guerres, lecture et sciences

Ligne du temps

Les représentations de la guerre froide dans la revue François, 1960-1962

 Par Annie Des Groseillers, 2022.

Introduction

À travers le monde, la guerre froide, la propagande, les tensions et la menace nucléaire ont marqué des générations de jeunes constamment exposé.e.s à des informations biaisées, d’un côté comme de l’autre du débat idéologique de cette époque. Le Québec n’a pas été épargné. Ainsi, j’ai voulu étudier les représentations de la guerre froide présentées dans les revues jeunesse du début des années 1960. La revue jeunesse de notre corpus qui s’intéresse le plus à l’actualité internationale et aux événements liés à la guerre froide est François, publiée par la JEC de 1943 à 1964. La revue pour adolescents présente régulièrement des reportages à teneur culturelle, artistique, sociale ou politique.

La période de 1960 à 1962 a été choisie pour plusieurs raisons. Premièrement, ce sont dans ces numéros que le plus d’articles portant sur des sujets en lien avec la guerre froide ont été trouvés. La période prend fin en mai 1962 parce que les archives des numéros suivants ne sont pas disponibles à la consultation. Deuxièmement, ces années marquent un tournant dans la guerre froide. La période entre 1957 et 1962 en est une de durcissement des relations entre les États-Unis et l’URSS avec, par exemple, le lancement du premier satellite soviétique en 1957 et la construction du mur de Berlin en 1961. Troisièmement, au Québec aussi les premières années de la décennie 1960 sont particulières. Il s’agit du début de ce qu’on appelle la Révolution tranquille, une période de profonds changements et d’importantes réformes, autant sur le plan social que politique et culturel. De plus, la génération du baby boom atteint l’adolescence et vit tous ces bouleversements nationaux et internationaux. Cette génération est plus éduquée et remet en question de nombreux aspects de la société traditionnelle. C’est à ces jeunes que s’adresse la revue François.

Si, dans la revue, il n’est presque jamais question explicitement de la guerre froide, à l’exception d’un article dont je discuterai d’abord, certains événements ou thèmes généralement associés à la guerre froide sont présents dans les pages de François. Parmi ceux-ci, deux thèmes principaux ont été sélectionnés pour mon analyse : la course à l’espace et la décolonisation de l’Afrique.

Les « blocs » et l’anticommunisme

Un article intitulé « Pour se comprendre en matière de politique internationale… il faut pouvoir identifier « blocs », pays, chefs d’États » est publié dans le numéro de François du 15 janvier 1962 (et dans le numéro de Claire de la même date). Il s’agit du seul article trouvé dans le corpus qui aborde directement le sujet de la guerre froide. Ce texte fait partie de la série « Le reporter se balade » qui présente régulièrement des sujets en lien avec l’actualité internationale et les cultures du monde. Dans cet article, il est question des « communistes », des « Occidentaux », des « neutralistes » et d’autres termes associés à cette époque tendue. Il s’agit d’un article informatif, présenté comme une sorte de lexique de la politique internationale. De plus, les chefs d’États de certains pays, probablement les plus souvent mentionnés dans l’actualité de l’époque, sont présentés en quelques lignes. Des photographies accompagnent le texte.

Le ton de l’article reste généralement assez neutre et informatif. Toutefois, certaines phrases laissent transparaitre les opinions politiques de la rédaction. Par exemple, dans la courte description de Mao Tsé-Tung, il est précisé que le chef d’État de la Chine populaire « ne désire quune chose, éliminer le plus tôt possible les capitalistes de la terre entière » (p. 39). Une telle phrase rappelle l’omniprésence de la propagande anticommuniste que connait l’Occident (qu’on appelle aussi « le monde libre ») à l’époque. À l’opposé, le président américain John F. Kennedy est décrit comme un « [t]ravailleur acharné pour la paix » (p. 39). Comme le montre Victoria M. Grieve dans son livre sur l’enfance américaine pendant la guerre froide, la propagande capitaliste est très forte aux États-Unis, et les enfants sont vus comme des symboles d’innocence et de vulnérabilité, ce qui en fait des piliers des stratégies de propagande contre le communisme (Grieve, 2018, p. 196). On peut penser que l’équipe de rédaction de François voit aussi, consciemment ou non, la jeunesse québécoise comme un rempart contre le communisme, ce qui influence le ton adopté pour parler des dirigeants communistes.

La course à l'espace

L’exploration spatiale semble être l’aspect de la guerre froide qui intéresse le plus les lecteurs et les lectrices du magazine François, du moins selon la rédaction. En effet, dans mon corpus, j’ai recensé un article présentant les voyages spatiaux (avril 1960) ainsi que trois rubriques technologiques : une sur le satellite Spoutnik II (octobre 1961), une sur la capsule spatiale Mercury Liberty 7 (novembre 1961) et une sur une chenillette soviétique d’exploration lunaire (janvier 1962). Dans ces rubriques, les auteur.trice.s présentent les avancées soviétiques de la même façon que celles des Américains. Les tendances anticommunistes présentes dans l’article sur les « blocs » ne transparaissent pas dans les textes sur la course à l’espace. L’exploration spatiale est associée au progrès et à la modernité, peu importe le pays qui en est l’origine.

L’article du 15 avril 1960, intitulé « L’homme dans l’espace », porte sur les planètes du système solaire, sur les progrès technologiques liés à l’exploration spatiale et sur l’avenir de l’humanité dans l’espace. Il est même question de Martiens et d’une possible colonisation du système solaire. Un parallèle peut être fait entre un tel article et la montée en popularité de la littérature de science-fiction chez les jeunes québécois.e.s à la même époque (Lepage, 2000, p. 325). Les jeunes veulent en apprendre plus sur l’espace, et on peut le constater dans leurs lectures. En plus des articles et des rubriques, des bandes dessinées se déroulant sur d’autres planètes sont publiées dans les pages de François et de Claire, comme Prisonniers de l’espace.

Les jeunes québécois.e.s ne sont pas les seul.e.s fasciné.e.s par la course à l’espace. En fait, il s’agit d’un des enjeux principaux de la guerre froide à cause de son potentiel symbolique et idéologique. Les Américains et les Soviétiques alimentent leurs réseaux de propagande respectifs en mettant de l’avant leurs succès technologiques. La menace nucléaire, bien réelle au début des années 1960, ajoute à l’intérêt qu’on porte partout aux fusées et aux nouvelles découvertes techniques. Il n’est pas fait mention de l’arme nucléaire dans François, probablement pour ne pas inquiéter le jeune lectorat et pour garder le ton positif et plein d’espoir pour l’avenir. Malgré ce silence, il est évident que les jeunes avaient connaissance des risques, dont ils entendaient vraisemblablement parler dans les médias et dans les conversations autour d’eux.

Enfin, il est intéressant de constater que le sujet de la conquête spatiale n’est pas du tout présent dans le magazine Claire, l’équivalent féminin de François, à l’exception des bandes dessinées. Cette différence de contenu trahit une vision genrée des intérêts des jeunes : les sciences et la technologie ne sont pas des sujets qui intéressent les filles, selon l’équipe de rédaction de Claire. Pourtant, les adolescentes entendaient sans aucun doute parler de la course à l’espace tout autant que leurs camarades masculins, et plusieurs devaient s’y intéresser.

Les indépendances africaines

Les mouvements de décolonisation en Afrique font l’objet d’un article intitulé « Ça bouge, ça bouillonne et ça déborde même! » dans le numéro de François du 15 octobre 1960. Si les indépendances africaines ne sont pas présentées comme liées à la guerre froide, la guerre froide a joué un rôle indéniable en Afrique. Les États-Unis et l’URSS interviennent dans le « tiers-monde » (terme qui désigne alors les pays non alignés d’Asie et d’Afrique) pour y assoir leur domination idéologique et politique. Les deux puissances se perçoivent comme le successeur de l’Europe et veulent remplacer le colonialisme explicite des Européens par un néocolonialisme et un impérialisme culturel et économique. En prônant les indépendances, les Américains et les Soviétiques s’assurent en fait des marchés économiques et idéologiques majeurs (Westad, 2005, p. 4, p. 74).

Dans le même numéro, on présente un exercice dans lequel des personnages de la revue, les Va-de-bon-cœur, comparent la carte de l’Afrique comme elle était en 1914 à la carte « telle qu’elle sera (selon les prédictions des experts et les pourparlers en cours) à la fin de 1960 » (p. 3). Sur les deux cartes, les « nations indépendantes » sont colorées en rouge, ce qui les met en évidence. On constate donc dès le premier coup d’œil que le nombre de pays africains indépendants augmente considérablement entre 1914 et 1960. Cette page ne propose aucune analyse historique ou géopolitique de la colonisation de l’Afrique par les puissances européennes. Les mouvements de décolonisation ne sont qu’un sujet comme un autre, prétexte à un exercice d’histoire et de géographie.

L’article publié quelques pages plus loin présente plus de contenu et vient compléter ces cartes. L’auteur de l’article adopte un ton positif et met de l’avant l’espoir qu’apporte la décolonisation pour les peuples africains. Une brève explication historique du colonialisme européen et du racisme institutionnalisé qui en découle est proposée aux lecteurs et aux lectrices. Les mouvements d’indépendance africains sont décrits comme quelque chose de positif, malgré les violences dénoncées et « certaines erreurs » commises par les Noir.e.s (p. 8). L’article appelle à faire preuve d’ouverture envers les combats africains et à se méfier des discours médiatiques trop critiques envers les Noir.e.s. Ce message s’inscrit dans un phénomène plus grand de sympathie à l’égard des mouvements de décolonisation au Québec au début des années 1960. Des historien.ne.s ont montré comment autant les missionnaires québécois.e.s que les intellectuel.le.s indépendantistes se sont intéressé.e.s aux théories de la décolonisation et à ce qui se passait dans le « tiers-monde ». Une partie du clergé appuie les mouvements de décolonisation, entre autres pour éviter que les nouveaux pays ne se tournent vers le communisme, l’athéisme ou l’islam. De plus en plus, le discours missionnaire de l’époque délaisse l’image d’une Afrique exotique pour une image d’une Afrique pauvre et nécessitant l’aide étrangère (Desautels, 2012, p. 83, p. 97-98). Chez la gauche nationaliste québécoise, ce sont les idées de souveraineté et d’autodétermination des peuples qui résonnent avec le contexte de la Révolution tranquille et des débuts du mouvement indépendantiste québécois (Dramé et Deleuze, 2006, p. 109-110). Il y a donc un discours qui s’articule chez les nationalistes québécois.e.s de sympathie envers les peuples qui luttent pour leur indépendance. Ce discours gagne les médias et, vraisemblablement, même les revues jeunesse!

Conclusion

Très peu d’information existe sur la perception des jeunes québécois.e.s des événements internationaux liés à la guerre froide. De nombreuses études se sont intéressées aux jeunes américain.e.s, soviétiques et européen.ne.s ou à l’utilisation des enfants dans la propagande et dans les discours politiques et culturels, mais bien peu se sont penchées sur la réception par les enfants des médias qu’ils consomment alors, en particulier au Québec. Le contenu de la revue François ne correspond pas tout à fait aux descriptions que les historien.ne.s font des médias et des discours dirigés vers les jeunes américain.e.s ou européen.ne.s à la même époque. Il est intéressant de constater que le ton utilisé dans les numéros de François du début des années 1960 pour parler de la guerre froide est généralement soit neutre, soit positif. Les avancées technologiques soviétiques sont tout aussi impressionnantes que celles des Américains. La décolonisation de l’Afrique est présentée sous la forme d’un exercice ludique d’imagination et les combats des Africain.e.s sont présentés comme légitimes. À l’exception de certaines mentions de communistes voulant éliminer tous les capitalistes, on ne cherche pas à créer un sentiment de panique ou de peur chez les jeunes, mais à les informer, à les aider à comprendre ce qui se passe autour d’eux et dans le monde et à y voir une source d’espoir pour l’avenir.

Selon une recension des sujets et des thèmes abordés dans les différentes revues de notre corpus réalisée par certain.e.s de mes collègues, l’actualité internationale politique et les sujets liés à la guerre froide sont quasi absents des autres revues. Il est vrai que François vise un public plus âgé, et donc plus exposé à l’actualité internationale, que d’autres revues, mais cela n’explique pas pourquoi la revue Claire s’intéresse si peu à ces questions. L’actualité internationale présentée dans les pages de Claire a souvent une teneur plus culturelle, artistique et sociale que politique ou scientifique. On peut y voir une division genrée fort révélatrice des idées que se font les équipes de rédaction de ce qui intéresse, ou de ce qui doit intéresser, les jeunes.

La place des revues jeunesse dans la culture scientifique québécoise

Par Anne-Victoria Couture, 2022.

Introduction

C’est dans les années 1920 que se façonnent les premiers traits de la culture scientifique québécoise moderne. Portée par la communauté universitaire naissante et par des membres du clergé, dont le Frère Marie-Victorin, elle évoluera au fil des décennies de pair avec la société québécoise (Chartrand, Duchesne et Gingras, 2008, p. 280). Ainsi, parmi les premiers efforts de diffusion de la science, il est important de mentionner le rôle primordial joué par les congrégations religieuses, qui ont mis de l’avant des initiatives afin de stimuler l’intérêt scientifique des nouvelles générations. C’est dans ce contexte, et fortement porté par le frère Marie-Victorin, que le Club des Jeunes Naturalistes (C.J.N.)  a été fondé en 1931 par le frère Adrien Rivard. Sous la tutelle de la Société canadienne d’histoire naturelle, ces regroupements de jeunes constituent une initiation à l’observation de la nature et ont pour objectif de diffuser des connaissances scientifiques et techniques aux jeunes (Saint-Arnaud, 2012, p. 10-13). Ce moyen de populariser les sciences auprès des nouvelles générations donne lieu à diverses chroniques dans la presse et à la radio, ce qui offre une visibilité au mouvement. Les cercles se multiplient de façon fulgurante jusque dans les années 1960 (Malissard, 1996, p. 7-9). Cet intérêt marqué pour la science auprès des jeunes se traduit aussi dans l’avènement d’un nouveau genre littéraire au Québec dans les années 1930, le documentaire jeunesse. Tout cela provoque une vitalité dans le domaine de la vulgarisation visant les enfants (Guillemette, 2004, p. 244-245).

La période de l’après-guerre est caractérisée par une nouvelle effervescence dans la diffusion de la science au sein de la société québécoise. Elle est causée, entre autres, par la multiplication des contenus produits et par la diversification des médias, notamment avec l’arrivée de la télévision dans les foyers du Québec. Fernand Séguin, figure importante de la communication scientifique auprès du grand public et père du journalisme scientifique, produit une série d’émissions de télévision, dont La science en pantoufles en 1954. Dans cette dernière, il propose de mettre la science en scène afin d’instruire tout en divertissant. Cette intensification du mouvement de vulgarisation dans les années 1950 porte la science dans le domaine public et dès le milieu des années 1960, elle devient l’« affaire de tous » (Barbeau, 2022).

Le magazine Stella Maris et Hérauts se retrouve au cœur de cette culture scientifique québécoise en pleine cristallisation. La lecture des contenus scientifiques présents dans cette revue à caractère religieux dévoile les caractéristiques de cette culture en pleine mouvance et révèle les changements qui affectent la vulgarisation scientifique des années 1960. Cela se perçoit dans l’espace accordé aux notions scientifiques et dans les formats mis de l’avant au sein des numéros, entre 1959 et 1965.

Place aux sciences!

Les frères maristes, responsables de la revue Stella Maris et Hérauts, accordent une place particulière aux sciences dans leur publication. S’inscrivant dans leur mission de promouvoir une éducation qui se veut complète pour les jeunes du Québec, ils offrent des enseignements scientifiques avec, entre autres, l’apprentissage des sciences naturelles. Ainsi, parmi les 54 revues consultées, 41 comptent du contenu scientifique qui se décompose en 40 articles, en 9 chroniques, revenant de manière plus ou moins régulière, et en une bande dessinée. Les articles sont donc le format privilégié entre 1959 et 1965, tandis que les chroniques diminuent de manière considérable pour l’année 1965, remplacées par la parution régulière d’une bande dessinée. Ces écrits sont récurrents et stables au sein de la publication et le positionnement de ces différents formats varie en fonction des numéros. La science, présente de manière constante dans la revue Stella Maris et Hérauts, ne se cantonne pas à ce simple périodique. À la suite de la fusion du magazine Hérauts en 1947 sous les éditions Fides avec les revues de cinq autres congrégations, le contenu des publications est uniformisé. Ainsi, nous retrouvons certains des articles scientifiques dans d’autres magazines, dont Ave Maria et Hérauts.

Les contenus présentés aux jeunes se divisent en trois catégories, soit la science, la technologie et l’histoire naturelle. C’est la technologie qui prédomine dans les sujets publiés, alors qu’elle représente la majorité des écrits proposés. Les jeunes se retrouvent donc à parcourir, à travers les pages, la canalisation du Saint-Laurent ou les innovations des technologies spatiales, et se voient même confrontés à l’étrange machine ATLAS, capable de calculer des équations complexes! L’influence du bouillonnement technologique des années 1960 se fait donc remarquer dans la revue Stella Maris et Hérauts. Elle illustre aussi en parallèle un autre phénomène québécois tout aussi important, la Révolution tranquille et la mainmise du Québec sur les technologies (Chartrand, Duchesne et Gingras, 2008, p. 307-309). La science pure est quant à elle plus discrète dans les contenus. Parmi les sujets mis de l’avant, c’est l’astronomie qui rayonne le plus. Tout comme pour les technologies, elle est une thématique très populaire, qui s’inscrit dans le contexte particulier de la course à l’espace.

En ce qui concerne l’histoire naturelle, sans être prépondérante, elle est récurrente. Une série d’articles et quelques chroniques, telles que «Les phénomènes de la nature» dépeignent l’environnement et les animaux. Il est possible ici de percevoir l’influence de la religion, non seulement dans l’écriture, avec des références régulières au « Créateur », mais aussi dans le choix du sujet. L’histoire naturelle est liée depuis déjà longtemps au milieu religieux québécois, notamment grâce à l’abbé Léon Provencher. Passionné des sciences naturelles, il publie des ouvrages majeurs, dont La flore canadienne en 1867, et il fonde la première revue scientifique spécialisée publiée en français en Amérique du Nord, Le naturaliste canadien (Beauchamps et Gingras, 2018). Cette dernière, qui parait encore à ce jour, diffuse des articles importants pour la vulgarisation des sciences naturelles. Dans les années 1930, elle cessera d’être dirigée par des membres du clergé pour être cédée à l’Université Laval, passant ainsi au domaine laïc. Néanmoins, les premiers essors de la vulgarisation scientifique en français sont reliés aux membres du clergé québécois par la figure de l’abbé Provencher, que plusieurs, dont le frère Marie-Victorin, considèrent comme un pionner dans l’organisation du mouvement scientifique québécois. Ces attaches entre la religion et les sciences naturelles datant du 19e siècle sont toujours aussi fortes au 20e siècle, tel qu’en témoignent les C.J.N et les articles dans la revue Stella Maris et Hérauts.

Le plaisir d’apprendre

Les trois formats des contenus scientifiques présentés dans la revue, soit l’article, la chronique et la bande dessinée, s’adressent différemment aux jeunes et optent pour des techniques de vulgarisation distinctes qui remplissent des fonctions variées (explicative, informative et de divertissement).

Les articles accordent une grande place à l’explication des découvertes scientifiques. D’une longueur moyenne de deux à quatre pages, ils sont écrits dans un langage simplifié qui interpelle parfois directement le lecteur afin de capter son attention. Les textes aérés, divisés en courts paragraphes, sont agrémentés d’illustrations techniques ou ludiques et de photographies afin de supporter le texte et de créer une expérience de lecture amusante. Le Québec et les nouvelles locales sont fréquents. À titre d’exemple, les jeunes découvrent avec émerveillement la présence de fossiles sur le sol canadien dans l’article « Des animaux préhistoriques foulaient jadis le sol canadien », de Marcel Séguin, publié dans le numéro du 1er mars 1964. Les articles se veulent donc faciles d’accès et amusants à lire, ce que trahissent aussi les choix visuels.

Les chroniques quant à elles se concentrent sur les nouvelles et les connaissances générales scientifiques. Ces rubriques sont courtes et rapides à lire. Elles sont facilement reconnaissables parmi les pages de la revue puisque des couleurs attrayantes et des illustrations rigolotes sont mises de l’avant pour attirer l’œil. Elles sont généralement composées de faits divers aisément assimilables et occupent un encadré au cœur des pages, tel que « Curiosité » ou « L’histoire de…», tandis que dans certains cas, elles couvrent des pages complètes, tel que « Phénomènes de la Nature » ou bien « De par le monde ».  Il est aussi intéressant de mentionner la rubrique « L’astronomie en pantoufles », présente dans les numéros de l’année 1960, qui fait référence à la populaire émission de Fernand Séguin, La science en pantoufles. Les informations utilisées dans cette chronique ont d’ailleurs été fournies par l’astrophysicien Hubert Reeves. Elle démontre non seulement l’impact de Séguin sur la culture populaire, mais elle expose aussi les liens qui unissent encore la communauté scientifique au domaine de la vulgarisation, qui au courant des années 1960 se détachera graduellement de cette fonction (Chartrand, Duchesne et Gingras, 2008, p. 308). Ainsi, les chroniques sont très ludiques dans leur présentation visuelle et dans les faits transmis et optent pour une vulgarisation informative.

La science par les images

Dans le numéro du 1er septembre 1963 apparait pour la première fois la bande dessinée « L’histoire de l’aviation », alors que les jeunes sont introduits à une toute nouvelle série. Dans différents fascicules, l’histoire de l’aviation est reprise et mise en scène, en insérant des explications techniques de chaque innovation au courant des siècles. Ainsi, le genre populaire de la bande dessinée est mis au service des acquis scientifiques. Les illustrations colorées et la narration qui allie fiction et réalité assurent un divertissement didactique à la jeunesse québécoise.

Ainsi, le format que revêt la vulgarisation scientifique dans le magazine jeunesse Stella Maris et Hérauts rompt avec le style des décennies précédentes dans la manière dont il s’adresse aux enfants. Le documentaire jeunesse comportait alors peu d’illustrations, était plus sérieux et proposait une présentation visuelle plus monotone (Lepage, 1995, p. 50-51). C’est dans le contexte de massification des sciences des années 1950 que plus d’attention a été accordée à leur mise en scène et à leur aspect divertissant. Cela a marqué la littérature jeunesse, qui met quelque peu de côté le genre romanesque didactique, pour adopter un style plus adapté aux jeunes. La revue Stella Maris et Hérauts illustre ce phénomène et s’inscrit dans la transition qui affecte la vulgarisation scientifique, alors qu’elle offre des contenus plus amusants et plus directs dans la communication des connaissances scientifiques.

Conclusion

C’est au fil des pages de la publication Stella Maris et Hérauts que nous retrouvons une culture scientifique québécoise en pleine transformation. Les années 1960 marquent l’avènement d’une ère de changement alors que la vulgarisation scientifique se professionnalise, s’affranchit du milieu universitaire et s’adresse à un public encore plus large. La revue reflète ce phénomène en proposant de plus en plus d’articles et de chroniques rédigés par des auteurs amateurs ou dépourvus de signataires. De plus, en optant pour des textes divertissants, une présentation visuelle ludique et des sujets populaires, elle s’adapte à son jeune lectorat pour transmettre des connaissances scientifiques variées.

Malgré tous ces changements, les liens entre la communauté religieuse et scientifique persistent dans la consolidation et la mise de l’avant de la culture scientifique québécoise. En effet, jusqu’au début des années 1960, la religion entretient des liens étroits avec la diffusion des sciences au sein des congrégations, à l’aide de différentes initiatives. Stella Maris et Hérauts, fondée par les Frères maristes et publiée par une maison d’édition ayant des racines religieuses, est l’une de ces initiatives. Bien qu’elle n’ait pas été créée seulement pour servir cet objectif, il est indéniable qu’elle a joué un rôle important dans le développement d’acquis scientifiques auprès de la jeunesse québécoise en leur offrant un espace pour assouvir sa curiosité.

Esquisses biographiques

Maurice Petitdidier

Maurice Petitdidier était un illustrateur franco-canadien connu pour ses BD religieuses, d’humour et d’aventure pour enfants. En 1957, Petitdidier est engagé par Fides pour illustrer ses revues Hérauts, Le Petit Héraut ainsi qu’une revue de la Jeunesse étudiante catholique, François. Petitdidier est bien connu pour ses personnages de Fanchon et de Jean-Lou qui apparaissent dans Hérauts et Le Petit Héraut. La BD était tellement populaire que Fides change le nom de sa revue destinée aux plus jeunes qui devient, en 1960, Fanchon et Jean-Lou. Grace à Petitdidier, les BD québécoises commencent un mouvement d’autonomisation et d’indépendance des BD américaines desquelles étaient tirées les planches illustrées jusqu’alors.

Paule Daveluy

Paule Daveluy (1919-2016) était une écrivaine pour la jeunesse et une traductrice québécoise dont la carrière est importante pour les débuts de l’industrie de la culture jeunesse au Québec. Elle a publié dans de nombreuses maisons d’édition, comme Fides, Pierre Tisseyre, et Jeunesse, ainsi que dans plusieurs magazines pour enfants et adultes. Daveluy a écrit dans la revue Claire des histoires réalistes pour les jeunes filles. Une figure importante dans la littérature jeunesse, elle s’est mérité le titre de Chevalier de l’ordre national du Québec en 1999 pour son œuvre.

SOURCE : https://advitam.banq.qc.ca/notice/531631

Henriette Major

Henriette Major (1933-2007) était une écrivaine de livres et d’émissions de télévision québécoises. Ses œuvres étaient non seulement populaires au Canada, mais aussi en France et en Belgique. Elle écrivait aussi périodiquement dans les revues comme Châtelaine et Macleans. Pendant son temps à la Jeunesse étudiante catholique, elle a fait partie de l’équipe de rédaction de la revue Claire. La contribution de Major à la littérature jeunesse québécoise est tellement remarquable que les Éditions Dominique ont consacré un prix littéraire à son nom.

SOURCE : Ginette Guindon, « Henriette Major (1933-2006) ou les malheurs de Sophie orpheline » Lurelu, vol. 30, No. 1, (Printemps-Été 2007) et https://www.bac-lac.gc.ca/fra/recherchecollection/Pages/notice.aspx?app=fonandcol&IdNumber=3855477

Ambroise Lafortune

Ambroise Lafortune (1917-1997) était non seulement prêtre, mais aussi écrivain et animateur à la radio et à la télévision pour jeunes et adultes. Ambroise est né et a vécu toute sa vie à Montréal, mais il était aussi un grand voyageur. Ses voyages dans 150 pays ont inspiré son écriture. Homme impliqué depuis sa jeunesse avec les scouts et les guides, ses écrits sont également inspirés par le scoutisme, un sujet qu’on voit souvent revenir dans les BD de notre corpus. Le père Ambroise était impliqué dans de nombreuses initiatives catholiques pour la jeunesse : il devient membre de la JEC en 1944 et membre fondateur de la PEN (Presse Étudiante Nationale). Il écrivit des romans historiques comme Le fils d’Akouessan publié dans la revue Héraults. Une des grandes passions d’Ambroise Lafortune était l’enseignement du catholicisme aux jeunes à travers la lecture.

SOURCE : https://advitam.banq.qc.ca/notice/617098

Paul-Aimé Martin

Paul-Aimé Martin était un prêtre catholique connu entre autres pour la fondation de la maison d’édition Fides. Né en 1917, il fonde sa maison d’édition à seulement 24 ans, en 1941, après quelques années à rédiger différentes publications telles que Mes fiches. La volonté derrière la création de Fides était de moderniser les publications de l’Église catholique, jusque-là assez banales. Les illustrés Hérauts sont un bon exemple d’innovation de la part de Fides dans cette sphère. Le père Martin sera le directeur de cette maison d’édition pendant 37 ans. Il aura aussi été bibliothécaire, professeur et directeur de différentes bibliothèques religieuses. Il s’est éteint le 26 septembre 2001 et est enterré à Montréal.

Nicole Germain

Nicole Germain (1917-1994) est une actrice, animatrice, écrivaine, et journaliste québécoise. Elle a commencé sa carrière comme animatrice de radio dans les années 1930 et elle a reçu le titre de « Miss Radio 1946 » quelques années plus tard. Grâce à son succès, Nicole Germain anime ses propres émissions de radio à Radio-Canada et à CKAC. Le nom, l’image et la réputation de Germain sont utilisés dans la revue Claire afin d’influencer de manière positive les jeunes filles qui lisent la revue en leur présentant une vedette québécoise comme exemple.

SOURCE : https://advitam.banq.qc.ca/notice/586383